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Transition écologique et modes de vie: Planification ou marché?
Publié dans Leaders le 04 - 10 - 2024

Par Pr Samir Allal - Université de Versailles/Paris-Saclay
L'improbable peut tout modifier, en mieux comme en pire
1. Après une longue période de scepticisme ou d'indifférence, la transition écologique et le "développement durable" commencent aujourd'hui à influencer, de manière plus ou moins concrète, les politiques publiques, les pratiques des entreprises ou des collectivités locales.
2. Les crises économiques ont largement contribué à exacerber davantage les inégalités entre les pays et à détourner l'attention des préoccupations environnementales : " risque de blacklash". Nous pouvons soit continuer sur la voie actuelle - de normalité dangereuse - et nous diriger, tels des somnambules, vers un avenir dystopique. Ou bien nous pouvons nous réveiller et inverser le cours des choses. Antonio Gueterres (Août 2024).
3. Nous vivons actuellement une sorte des multiplications de crises, qui comportent des aspects variés et liés entre elle. Nous sommes face à une plus grande complexité du monde et la décarbonation est progressivement intégrée, souvent sous la pression des réalités de terrain ou poussée par la coopération internationale.
4. En règle générale, même si, des exemples réussis de développement durable peuvent être cités, les efforts consentis actuellement restent insuffisants dans la plupart des cas, les principes de la durabilité ne sont pas suffisamment pris en compte dans les programmes et les politiques.
5. Extension démesurée des zones urbaines, consommation excessive d'énergie, gaspillage d'eau, d'aliments et d'espace, production élevée et croissante de déchets urbains, augmentation des coûts et des nuisances dus à la congestion par la circulation, perte dangereuse de la cohésion sociale, ...
6. Parmi les explications souvent avancées figurent la faiblesse des capacités humaines, techniques et financière, qui empêche la mise en place de programmes et des réseaux susceptibles d'accompagner efficacement la transition écologique et le développement durable.
Le partenariat université/entreprise /territoire pour faire exploser le cloisonnement disciplinaire qui émiette le savoir
7. Le concept de "développement durable" se distingue par sa capacité tout à fait remarquable à poser et surtout à lier ensemble plusieurs questions centrales auxquelles nos sociétés sont aujourd'hui confrontées :
8. La question des "finalités de la croissance" - et d'un "compromis possible" entre les intérêts divergents de l'économique, du social et de l'écologique ; celle du "'temps" et de la concurrence entre court terme et long terme, générations présentes et futures ; celle, des "identités spatiales" - et de l'articulation problématique entre les logiques de globalisation et celles d'automatisation des territoires locaux.
9. La prise en compte de la soutenabilité économique et climatique demeure un exercice complexe avec des tensions entre ce qui est considéré comme économiquement souhaitable et ce qui est identifié comme durable du point de vue de la science du climat.
10. La littérature sur l'interaction entre les Objectifs du Développement Durable (ODD) et leurs cibles souligne l'importance d'avoir une approche systémique et intégrée, voir Pradhan et al. (2017), Pham-Truffert et al. (2020) et Swain et Ranganathan (2021) parmi beaucoup d'autres.
11. La combinaison de la soutenabilité sociale et environnementale est au cœur du débat politique, pour donner suite aux appels en faveur d'une transition juste.
12. Le concept de transition juste est cependant utilisé par différents acteurs avec des définitions allant d'une "simple demande de création d'emplois dans l'économie verte, à une critique radicale du capitalisme et au refus des solutions de marché" (Barca, 2015).
13. Pour synthétiser les différentes positions, deux approches extrêmes se dessinent : une transition juste "affirmative", dans la mesure où elle cherche à redistribuer les charges environnementales, économiques et sociales au sein du paradigme socio-économique donné,
14. Et une transition juste "transformative", dans la mesure où elle cherche à restructurer l'ensemble du système de production et de propriété en vue de démocratiser la distribution des risques environnementaux et de réintégrer l'économie dans la société.
Appréhender les trajectoires de la transition à l'aune de la soutenabilité forte et affronter les incertitudes
15. La littérature économique a historiquement conduit à l'émergence de deux écoles d'économie du développement durable - l'économie néoclassique de l'environnement et l'économie écologique hétérodoxe - avec des interprétations concurrentes de la soutenabilité appelées soutenabilité environnementale "faible" ou "forte".
16. Cette distinction entre économie de l'environnement et économie écologique est apparue initialement en réponse à l'ouvrage fondateur "Limits to Growth" de Meadows et al. (1972).
17. Les critiques formulées à l'encontre du rapport Meadows peuvent être classées en deux grandes catégories (voir Nordhaus 1973, Beckerman 1972, Solow 1974, entre autres) : «l'absence de considérations empiriques et de progrès technologique (et) l'absence de mécanismes fondés sur le marché et de substituabilité entre les ressources et le capital», ce qui peut nous conduire à porter des perspectives trop pessimistes.
18. Néanmoins, "Limits to Growth" a ouvert la voie à une littérature sur l'inclusion des ressources naturelles, généralement considérées comme épuisables, dans les modèles de croissance, voir Stiglitz (1974), Hartwick (1977) et Solow (1974), entre autres.
19. Au cœur de ces exercices se trouve l'idée de "traiter la rareté" et "les mécanismes de compensation intergénérationnelle", en substituant les ressources naturelles épuisées par un autre capital manufacturé.
20. La soutenabilité environnementale faible est répandue car, en théorie, il est facile de la mettre en pratique. Elle défend une vision très optimiste du développement durable, voir Victor (2020).
21. La soutenabilité faible sous-estime les contraintes écologiques en raison de la substitution possible entre capital naturel et capital manufacturé et fait confiance au marché (prix permettant de disposer adéquatement du capital naturel) et à la technologie (gain de productivité réduisant la criticité du capital naturel) pour résoudre les problèmes.
22. Elle propose une manière simple de répartir les contraintes entre les acteurs, au niveau des pays, des individus ou des générations. Un avantage important est qu'elle n'impose pas de contraintes très fortes aux générations actuelles, sauf en termes d'investissement et de fiscalité, et qu'elle est donc socialement et économiquement acceptable, a priori.
23. Cela se fait toutefois au prix d'une série d'hypothèses fortes (Theys et Guimont, 2019) comme : le fait de pouvoir valoriser le capital naturel via les effets externes ; une croissance continue de la productivité des ressources, grâce à des investissements importants dans la technologie ; la possibilité de déployer des stratégies de substitution efficaces (par exemple, remplacer des ressources non renouvelables par des énergies renouvelables, des produits par des services...) ; Etc…
24. Le problème est que la soutenabilité faible repose sur des hypothèses largement invalidées, et que la confiance qu'elle accorde au marché et à la technologie est depuis longtemps invalidée dans une large mesure par ce qui se passe dans le monde réel (Keen, 2011.
25. En revanche, la soutenabilité forte cherche à s'affranchir de ces hypothèses, et considère en particulier que les possibilités de substitution sont souvent limitées.
26. Difficile de ne pas constater le manque d'alignement de la trajectoire actuelle avec les objectifs de réduction de gaz à effet de serre. Plusieurs leviers sont à la peine, en premier lieu celui de la décarbonation de l'économie.
Socialiser les modes de vie, plutôt que faire croire à l'indépendance des individus
27. Pour sortir de l'impasse introduite par les réflexions – libérales– purement économicistes et proposer des solutions aussi justes et prospères que soutenables, il faut nécessairement mettre l'accent sur les modes de vie.
28. Deux réponses existent actuellement. La première est celle des libéraux : le Green New Deal, dans une approche dite « ordolibérale », qui cherche à piloter le marché. Elle pousse à acheter des produits « verts », du côté des entreprises aussi bien que des consommateurs : énergies renouvelables, voitures électriques etc. Elle utilise des leviers réglementaires et économiques tels que des taxes ou des subventions.
29. La deuxième vise à planifier la transition. C'est la solution, proposée par exemple par John Bellamy Foster, ou Timothée Parrique en autre d'une décroissance planifiée. Ce qui est à réguler, ce ne sont pas les prix et les quantités, mais les modes de vie.
30. Pour Fabrice Flipo (AOC, 2024), un mode de vie est un ensemble de pratiques répétitives et largement répandues qui répondent à des attentes et sont de type sociotechnique. Il se distingue des styles de vie, qui désignent des variations individuelles, et des genres de vie, et qui englobent toutes les tentatives organisées des minorités actives ayant pour but de changer les modes de vie.
31. Le gros avantage du mode de vie, c'est qu'il est compréhensible par toutes et tous et donc appropriable. Il permet à chacun et à chacune de comprendre de quoi il participe. Il lève donc cette fable entretenue par l'économie néoclassique et la rhétorique du marché, qui soutiennent que le consommateur est « souverain » et que son choix est « libre », pourvu que le marché le soit aussi. Il éclaire l'interdépendance entre les choix, y compris la distribution des revenus.
32. Fabrice Flipo montre aussi qu'une élite, aussi « démocratique » qu'elle se prétende, ne peut réguler les modes de vie par le haut : c'est aux citoyens eux-mêmes de s'en saisir, et cela sans multiplier à l'infini les réunions inutiles de type comptable, où l'on décompte les besoins en choux et en carottes pour programmer la production à l'avance.
Le libéralisme fétichise le marché: tout ce qui ne se régénère pas dégénère
33. Le libéralisme fétichise le marché ou l'économie néoclassique. Il prétend que le consommateur est libre alors que l'économie est organisée. Le principal levier sur la voie de la maîtrise des modes de vie est la lutte contre les fétichismes, tous les fétichismes, et non le remplacement d'un fétichisme par un autre.
34. L'objectif inchangé de la croissance du PIB multiplie les consommations, notamment numériques. Le progrès, l'innovation, l'éradication de la pauvreté, l'amélioration du vivre-ensemble, la cohésion sociale, la paix : ne sont pas mesurées par le PIB.
35. La notion galvaudée de « la transition écologique et énergétique » rend nécessaire une réflexion sur les logiques de puissance qui organisent l'ordre mondial. Face à la crise, la question de la transition est d'apparence simple : comment bifurquer ? La réponse, en revanche, l'est beaucoup moins.
36. La transition écologique va dépendre en particulier, de la manière dont la formation sera - sérieusement ou pas - prise en compte dans les stratégies de développement durable futures des acteur économiques ou sociaux concernés.
37. Il y a en effet de bonnes raisons de penser que c'est essentiellement à l'université que pourront être construites, les articulations indispensables entre les dimensions sociales et écologiques du développement durable et de la décarbonation.
38. Le monde se trouve " à la croisée des chemins" et se dirige, s'il n'y prend garde, vers un "avenir dystopique", fait d'escalades militaires, de répression et de désinformation.
39. Les trajectoires durables de la transition écologique sont au cœur de nombreux débats politiques : Net Zéro, transition juste, justice climatique, inclusion de la biodiversité, etc. Il nous faut préserver les ressources critiques pour l'avenir et faire en sorte que la capacité de l'environnement puisse supporter l'augmentation du niveau de vie.
40. Pour construire de telles trajectoires, trois principes directeurs, (inspirés d'une approche de durabilité forte), peuvent nos guider: (i) la réfutation a priori de la substituabilité, (ii) la nécessité de construire des diagnostics et des analyses multidimensionnels mettant en évidence les synergies et les tensions entre différents indicateurs, et (iii) la reconnaissance de l'importance de construire un construit social sur le "bon état" souhaitable et sur les trajectoires pour l'atteindre.
41. L'approche de la soutenabilité forte, c'est-à-dire une approche qui réfute a priori la substituabilité entre les différents types de capital (i.e. naturel, social et manufacturé), peut apporter un éclairage nouveau sur la construction des trajectoires de développement.
42. S'il fallait aujourd'hui faire un bilan de l'approche du développement durable, (une notion politique et non scientifique), qui intègre un principe de justice intergénérationnelle, sur lequel s'est greffé un objectif de solidarité entre les personnes ou les territoires (dont les "besoins" ne seraient pas satisfaits) l'impression dominante serait sans doute celle d'un paradoxe.
43. D'un côté il est incontestable que c'est à l'échelle des territoires que le "développement durable" a été le plus rapidement et visiblement intégré dans les politiques - et ceci sous les formes les plus diverses - : "contrats territoriaux d'exploitation", "plans de déplacement urbain", « Agenda 21 » ...
44. De l'autre, il faut bien constater que la plupart de ces politiques sont fragiles et souffrent d'un handicap majeur qui est de ne pouvoir s'appuyer sur des jeux d'alliance, des logiques institutionnelles ou des intérêts économiques clairement affirmés ou suffisamment puissants.
45. Tout un ensemble de raisons convergentes militent a priori pour donner progressivement au partenariat université/territoires/entreprises, une place privilégiée dans les stratégies futures de développement durable et de la transition écologique.
46. La véritable plus-value du lien entre formation/entreprises et territoires durables n'est pas dans le seul apport de grandes compétences techniques, mais dans le renforcement institutionnel et l'appui à la maîtrise d'ouvrage des projets.
Pr Samir Allal
Université de Versailles/Paris-Saclay


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