Saluant les brillants parcours de Mounira Chapoutot-Remadi, Hamit Borzslan et Sato Kentaro, l'édition 2016 des prix Ibn Khaldoun a aussi honoré Fatima Mernissi, Abdelwahab Meddeb et Khaled Foued Allam à titre posthume. C'était à l'occasion d'une brillante cérémonie qui a eu lieu vendredi à la Khaldounia, au coeur d'un monument historique intimement lié à l'histoire culturelle de la Tunisie moderne. Pour la cérémonie de remise des prix Ibn Khaldoun pour l'année 2016, il y'avait quelque chose d'ans l'air, un "plus" perceptible et un renfort de taille! En effet, cette cérémonie a eu lieu cette année dans un lieu pas comme les autres puisque c'est la fameuse Khaldounia qui accueillait vendredi cet événement. Quand renaît la Khaldounia... La Khaldounia est un lieu de mémoire. Dans cette bibliothèque qui se trouve dans une ruelle de souk el Attarine a été fondée la première association tunisienne. C'était en 1896 lorsque des esprits éclairés avaient décidé d'offrir aux étudiants de la vénérable université Zitouna des cours complémentaires dans les domaines des langues et des sciences. Dédiée à Ibn Khaldoun, cette première association allait ouvrir le chemin de la modernité et devenir l'un des piliers de la vie culturelle en Tunisie. Aboulkacem Chebbi y donna des conférences, la grande majorité des intellectuels arabes en visite en Tunisie s'y rendirent. Mieux, l'Union générale tunisienne du Travail y a été fondée... De toute évidence, l'histoire de cette association et de son siège étaient dans tous les esprits lors de cette cérémonie, d'autant plus que des portraits des fondateurs de la Khaldounia trônaient en bonne place et que le public présent savourait la revanche symbolique de la culture sur la violence et les usurpations intégristes. On se souvient en effet que le cheikh Houcine Labidi, radical et fulminant, avait pris d'assaut avec ses ouailles la Khaldounia et s'était emparé des locaux lorsqu'il avait occupé la Zitouna. Depuis de l'eau a coulé sous les ponts et les intégristes ont battu en retraite. Le ministère de la Culture et de la sauvegarde du Patrimoine a maintenant pris possession des locaux de cette bibliothèque historique dorénavant affectés à la Bibliothèque nationale de Tunisie. Après une rénovation en profondeur menée par les ingénieurs et architectes de l'Institut national du Patrimoine, la Khaldounia revit à la culture et commence sa nouvelle ère de belle manière avec la remise des prix Ibn Khaldoun. Très symboliquement, la ministre Sonia Mbarek inaugurait cette nouvelle page de l'histoire de la Khaldounia. Des prix pour les sciences humaines et sociales Les prix Ibn Khaldoun ont été créés en 2015 à l'initiative de Med 21, un réseau de prix pour la promotion de la coopération en Méditerranée. Présidé par Mohamed Nadir Aziza, ce réseau s'appuie sur un bureau du prix Ibn Khaldoun qui est dirigé par Habib Kazdaghli, le doyen de la Faculté des lettres de la Manouba. L'initiative est également appuyée par la Bibliothèque nationale et sa dynamique directrice Raja Ben Slama qui, accueillant les invités d'honneur et le public nombreux, ouvrait les débats par une allocution de bienvenue. Les invités d'honneur étaient au nombre de trois. Sonia Mbarek, ministre de la Culture, présidait la cérémonie aux côtés de Laura Baeza, ambassadeure de l'Union européenne en Tunisie. C'est Elisabeth Guigou, présidente de la Fondation Anna Lindht qui complétait les présences honorifiques à la tribune de la Khaldounia. Les prix Ibn Khaldoun ont pour but de saluer et promouvoir les études et recherches en sciences humaines et sociales. Ces prix sont distribués en plusieurs rubriques avec une distinction pour la rive sud de la Méditerrranée, une autre pour la rive nord et une troisième pour le reste du monde. De plus, des prix à titre posthume figurent également au palmarès. En tout, six personnalités ont été honorées par ces prix pour l'année 2016. Ils rejoignent les noms inscrits au palmarès du prix pour sa première édition. On se souvient qu'en 2015 étaient honorés le sociologue Edgar Morin et le philosophe Abdelwahab Bouhdiba ainsi que Abdesslem Cheddadi (Maroc), Gabriel Gros (France) et Franco Rizzi (Italie). Les distinctions posthumes étaient alors décernées à Lilia Ben Salem et Abdelkader Zghal. Un palmarès aux couleurs de la Méditerranée et du Japon Le palmarès de 2016 a été l'occasion de découvertes et aussi d'hommages à des parcours scientifiques brillants et engagés tel celui de Mounira Chapoutot-Remadi, professeur émérite à l'Université de Tunis. Recevant son trophée des mains de Laura Baeza, la récipiendaire a prononcé un éloge lyrique des femmes maghrébines. Le Franco-Turc Hamit Bozarslan était honoré à son tour pour la rive nord de la Méditerrannée. Lui aussi prononça un discours dans lequel il a invité l'assistance à réfléchir sur la notion de cité et les concepts de consensus et dissensus. Recevant son prix des mains de Sonia Mbarek, il a rendu un hommage appuyé à la transition tunisienne. Le prix pour le reste du monde est allé au chercheur japonais Sato Kentaro de l'Université de Hokkaido. A la tête d'une équipe de douze chercheurs, cet universitaire traduit actuellement plusieurs textes khaldouniens en langue japonaise. S'exprimant dans un arabe parfait, Sato Kentaro a analysé toute la puissance de la vulgate khaldounienne et plaidé pour le dialogue des civilisations. Les prix posthumes sont allés à Abdelwahab Meddeb (Tunisie), Fatima Mernissi (Maroc) et Khaled Foued Allem (Algérie). Après la remise des prix et les discours de clôture, Habib Kazdaghli a pris la parole pour signaler que des démarches sont actuellement en cours de finalisation pour que la prochaine édition du prix soit accueillie par la ville algérienne de Tiaret. Cette ville est le siège de l'Université Ibn Khaldoun dont Mohamed Tej, le doyen de la Faculté des Lettres, était également présent à cette cérémonie à la tête d'une délégation universitaire. Notons enfin que la cérémonie était ponctuée de brefs intermèdes musicaux avec Chiraz Jaziri, accompagnée au luth par Salwa Hfaiedh.