Sami Tahri, porte-parole de l'UGTT, a déclaré dernièrement qu'il n'y a pas une formulation claire et explicite, concernant le droit de grève, au chapitre consacré au droit syndical selon le brouillon de la prochaine Constitution. La grève c'est la base même du droit syndical. Ce sont en effet, à l'origine les dockers qui au 18ème siècle, pour revendiquer certains droits inhérents à l'effort fourni grâce à leur force de travail, décidaient d'arrêter de travailler pour se réunir sur la place de grève à Paris. Cette place qui était située en bord de Seine, servait de point d'accostage des bateaux, étant bordée d'une plage de sable. Ce fut donc le premier moyen qui a permis aux salariés de se solidariser afin de revendiquer les droits leur revenant de manière collective, et constituer petit à petit des corporations au sein desquelles ils pouvaient défendre leurs intérêts et dénoncer par là même toutes les formes d'exploitation qui étaient aux mains des employeurs. Les relations du travail ont pu évoluer au fil du temps, passant de l'étape de la loi du plus fort, en vertu de laquelle, l'employeur était le maître à bord, à celle de la concertation, grâce à la solidarité entre les travailleurs et la lutte qu'ils ont menée, au prix de leur sang et de leur vie afin de recouvrer leurs droits et surtout leur dignité. La grève a été donc l'instrument le plus efficace aux mains des travailleurs afin de dénoncer les injustices dont ils ont été l'objet durant des siècles, non seulement à travers l'Europe, mais partout dans le monde. Omission à dessein ? Dans la Constitution de 1959, si le droit syndical a été consacré (article8), le droit de grève n'a été énoncé, ni au préambule ni nulle part ailleurs de ce document, considéré au-dessus de la loi. Le droit syndical figure à l'alinéa 2 de l'article 8 de la constitution, avec la formulation assez ambiguë : « Le droit syndical est garanti ». Même pas sous les conditions énoncées à l'alinéa précédent concernant les libertés d'opinion, d'expression, de presse, de publication, de réunion et d'associations, qui s'exercent « dans les conditions définies par la loi. » Cependant la grève a été réglementée par une loi spécifique, en vertu de laquelle il fallait une procédure préalablement à toute décision de grève par la centrale syndicale. Cela a constitué quand même une évolution par rapport à la situation qui sévissait avant l'indépendance, où la grève était considérée comme un délit entrant dans le cadre du trouble à l'ordre public. Quelles innovations consacrées par la prochaine constitution ? Aucune, aussi bien selon certains responsables syndicaux que selon des membres de la composante civile. De prime abord on déplore l'absence, dans le préambule, de toute référence à la dimension sociale, alors qu'il fait partie désormais des principes fondamentaux des droits sociaux reconnus par les lois de la République, eu égard au développement des relations sociales selon les normes internationales. Restrictions ? Il est énoncé dans l'article 27 de l'avant-projet de la prochaine constitution que : « les droits syndicaux sont garantis, y compris le droit de grève, tant qu'il ne constitue pas une menace pour la vie des personnes , leur santé et leur sécurité. Dans quelle mesure, la grève pourrait-elle constituer une menace pour la vie des personnes ? Evidemment l'usage de la violence, une violence accrue au point de tuer, sort du cadre de la grève qui constitue essentiellement un mouvement collectif de cessation de travail. Dans toutes les formes de grève, que ce soit celle qui s'accompagne d'une occupation des lieux de travail, ou celle qui consiste à mettre un brassard, sans s'arrêter de travailler, la violence n'est générée que par les briseurs de grève, et qui sont mus essentiellement pour des raisons politiques et non salariales. Quant à la menace pour la santé, et la sécurité des personnes, tel qu'il a été stipulé à l'article 27 précité, elle entre dans les exceptions qui peuvent être multiples, et qui doivent être gérées en fonction de la conjoncture qui se présente. Dans le cas de la grève des médecins, les cas d'urgence sont toujours traités à part, et ce dans tous les cas de figure et dans le monde entier. Lorsque les magistrats ont observé dernièrement une journée de grève, les cas d'urgence, touchant à la sécurité de l'enfant par exemple, ou d'une action judicaire devant les référés d'heure à heure ou toutes les actions judiciaires soumises à un délai fixé expressément par la loi. Ces restrictions au droit de la grève intervenues dans l'article 27, n'ont pas leur raison d'être dans un texte constitutionnel, dont le but est de consacrer ledroit de la grève dans l'absolu, car dans tout exercice d'un droit quel qu'il soit, il y a des exceptions qui confirment la règle et qui entrent dans le cadre de laprocédure nécessaire pour l'exercice de ce droit. Ces exceptions sont régies en général par les textes de loi régissant tous les rapports entre les individus. Réactions des membres de la composante civile Selon le communiqué de la CGTT, le texte du brouillon de la prochaine Constitution est régressif par rapport à celui figurant dans la constitution de 1959. Ce qui constitue une violation des principes de la Révolution basée sur le renforcement des libertés. Le droit de grève qui est le signe de la solidarité entre les travailleurs, étant donné qu'il s'exerce collectivement, doit être en rapport avec les droits économiques et sociaux, et au diapason des législations sociales dans les pays démocratiques, où le droit de grève reste le moyen le plus efficace pour revendiquer les droits sociaux et dénoncer les abus éventuels et les atteintes à la liberté du travail et des travailleurs. Il faut qu'il soit clairement énoncé en tant que droit social reconnu, et qui ne souffre aucune restriction de la loi de nature à l'estomper, ou à le minimiser, comme ce fut le cas dans la constitution précédente, ou même dans certaines constitutions françaises, préalables à celle de 1958. La grève est désormais en France un droit à valeur constitutionnelle. Dans une décision de 2006 , de la cour de cassation française, la grève est définie comme la cessation collective du travail en vue de présenter à l'employeur des revendications professionnelles. La grève est un outil pour défendre la démocratie, et en l'occurrence, comme l'ont affirmé les juristes Guy Groux et Jean Marie Pernot dans leur ouvrage sur la grève (éditions Presses de science Po, année 2008: « La grève n'est alors « plus simplement l'un des produits de la démocratie moderne ; elle est aussi garante de la démocratie politique ». La grève, c'est le fondement même du doit syndical, droit qui ne peut que favoriser des relations de travail basées sur la concertation avec les partenaires sociaux et en faveur de la paix sociale.