L'expérience des pays d'Afrique indique qu'une grande partie des emprunts extérieurs fuit comme la fuite des capitaux. Un audit de la dette tunisienne pourrait faire la lumière sur cette question importante au profit du pays Depuis quelques jours, un scandale de l'évasion de capitaux et d'évasion fiscale occupe les grands titres de l'actualité en Europe et dans la sphère financière internationale. C'est un ex-informaticien de la banque Hscb, filière suisse du nom de Hervé Falciani, qui est le lanceur de cette alerte explosive. Il a révélé au «Monde» et au fisc français une liste de clients de son ancienne société. Parmi les 100.000 clients auxquels le quotidien français a eu accès, plusieurs personnalités tunisiennes sont mises en cause dans ce système d'évasion fiscale. «Swiss-Leaks» est désormais le nom de l'affaire qui attire l'attention des autorités fiscales du monde entier. La Tunisie est concernée dans cette affaire par les fuites de capitaux de grande ampleur sous l'ancien régime. Le gendre de Ben Ali, Belhassan Trabelsi, figure dans les livres de la banque suisse Hsbc, avec pour près de 25 millions de dollars (47 milliards de centimes), pour les deux années 2006 et 2007. Ces chiffres concernent une seule banque et une seule année. Donc, on peut penser que le fuyard est riche en dépôts dans d'autres pays ou paradis fiscaux. Il n'est pas le seul. Les deux auteurs qui ont le plus travaillé sur la fuite de capitaux des pays africains sont Léonce Ndikumana et James K. Boyce*. Leurs travaux montrent comment l'évasion de capitaux à partir de la Tunisie a explosé avec Ben Ali. Leur méthode est basée sur le calcul du différentiel entre le solde des flux (entrées et sorties de devises) et les utilisations qui en sont faites. Les capitaux évadés de Tunisie de 1970 à 2010 Pendant les quatre décennies de 1970 à 2010, la Tunisie a perdu en moyenne 905 millions par an, soit 3,9% du PIB. Le cumul de la période est équivalent à 38,9 milliards de dollars. Somme astronomique qui représente plus de 80% du PIB tunisien. Si l'on tient compte du fait qu'une bonne partie de cet argent a été placée, soit dans l'immobilier, soit dans des actifs financiers ou des entreprises, et si l'on réalise une actualisation très sommaire, il est clair qu'une poignée de Tunisiens détient à l'étranger un patrimoine supérieur à la richesse de toute la Tunisie, c'est-à-dire supérieur au PIB. Oui, cela donne le vertige. Mais les chiffres sont têtus. Il y a donc une deuxième Tunisie qui a un pied à l'étranger, extrêmement riche, et une Tunisie des petites gens à l'intérieur. L'évasion a réellement décollé bien avant, selon les deux auteurs, à partir de 1984. Mais celle-ci a atteint des niveaux spectaculaires sous Ben Ali. La tendance à la hausse de la fuite des capitaux s'est prolongée jusqu'en 2003. Tout au long de l'ancien régime de 1987-2010, le pays a perdu $ 33,9 milliards à cause d'une évasion érigée en système, avec en moyenne 1,5 milliard de dollars par année par rapport à 278 millions de dollars sur la période allant de 1970-1987, au cours des dernières années de Bourguiba. Les emprunts extérieurs fuient En outre, l'expérience des pays d'Afrique subsaharienne indique, selon le rapport, qu'une grande partie des emprunts extérieurs fuit comme la fuite des capitaux. Un audit de la dette tunisienne pourrait faire la lumière sur cette question importante au profit du pays et de ses créanciers légitimes. Les dernières statistiques de la Banque des règlements internationaux, BRI, donnent une idée précise sur les dépôts en liquide dans les banques internationales, de la part des Tunisiens. On remarquerait que les chiffres de la BRI ne concernent que les dépôts en liquide. Or, la plus grosse partie du patrimoine des fraudeurs est généralement placée en actifs financiers et immobiliers (appartements par exemple, actions, placements, sociétés). Peut-être, cette impunité va-t-elle cesser un jour? Pour ceux qui seraient intéressés, au sommet du G20 tenu à Londres en 2009, la communauté internationale, sous la houlette des Etats-Unis, de la France et de l'Allemagne, a mené une bataille féroce contre le secret bancaire. Ainsi, la Suisse ne pouvant plus se dérober est en train de préparer la fin du secret bancaire pour le 1er janvier 2018. En attendant, dans le cadre des conventions de l'Organisation de coopération et de développement économiques, (Ocde), sur l'échange d'informations pour lutter contre le blanchiment d'argent et les trafics illicites, la Tunisie est censée avoir déjà reçu les listings des Tunisiens incriminés dans cette fuite des capitaux de l'affaire Hsbc, de la part des autorités françaises ou suisses. Des enquêtes sont censées être diligentées. Qu'on nous mette au courant ! *Capital Flight from North African Countries. Léonce Ndikumana and James K. Boyce; Political Economy Research Institute, Université du Massachusetts, Amherst, Octobre 2012