42% des employés âgés de 20 à 24 ans travaillent d'une manière informelle, sans couverture ni protection sociale. Une situation qui pose un problème, à cause de son impact négatif sur les caisses, pilier de la sécurité sociale en Tunisie. L'informalité de l'emploi figure parmi les problématiques majeures auxquelles la population active jeune est désormais confrontée. Elle compte également parmi les principales causes de vulnérabilité de la protection sociale en Tunisie, l'un des rares systèmes de sécurité sociale dans la région Mena, quasi-complet à couvrir la majorité des catégories socioprofessionnelles, et ce, en se rapportant aux normes minimales de la sécurité sociale établies par l'Organisation Internationale de travail. Mais pourquoi le travail informel pose-t-il autant de problèmes, au niveau de la sécurité sociale ? Il est convenu de définir le travail informel en tant que l'ensemble des emplois salariés ou non, qui ne bénéficient pas d'une couverture sociale et qui possède les mêmes caractéristiques de l'emploi occupé. Autrement dit, le travail informel englobe l'emploi dans le secteur informel et celui hors du secteur informel (c'est-à-dire dans le secteur formel et dans les ménages travailleurs domestiques). En 2015, le taux du travail informel estimé s'élève à 32,2% de la population active occupée, soit 1.092.000 travailleurs informels, selon une étude réalisée par le Centre de recherches et d'études sociales en collaboration avec la Banque africaine de développement. Il est notoire que ce taux a connu une hausse continuelle après la révolution ; ainsi il est passé de 28% en 2010 à 32% en 2015. En dépit de sa valeur élevée, ce taux reste le plus faible parmi les taux enregistrés dans les pays du Nord de l'Afrique. Les jeunes les plus lésés Le phénomène du travail informel touche particulièrement la population jeune, notamment la gent féminine. Les enquêtes réalisées ont révélé que 60% des hommes occupant un emploi informel en 2014 sont âgés de moins 40 ans, contre 83% des femmes de cette même catégorie d'âge. De manière encore plus précise, ce fléau est manifeste chez les tranches d'âges les plus jeunes, à savoir les jeunes âgés de 20 à 24 ans, dont le taux des actifs informels atteint un niveau culminant s'élevant à 42%. Ce qui dénote la perméabilité des jeunes, ainsi que leur résignation face aux emplois précaires, peu décents et qui n'offrent pas de sécurité sociale. La même enquête a révélé que les travailleurs informels occupent généralement des emplois dans des secteurs à faible productivité tout en étant exposés aux risques inhérents à l'informalité, notamment l'instabilité du revenu, les accidents et les maladies liés au travail. Face à une situation économique très difficile et un chômage persistant, la plupart des jeunes acceptent de travailler tout en se privant de toute couverture sociale ou prestations offertes par les régimes assurantiels tels que la pension de retraite, les prestations familiales, le capital décès, etc. ainsi les travailleurs informels seraient vulnérables aux aléas des conjonctures économiques et aux chocs exogènes. Ce travail est désormais considéré comme une source potentielle de pauvreté et de vulnérabilité. Une défaillance au niveau du secteur privé Si l'on dissèque les taux enregistrés de l'informalité d'une manière sémantique, on observe que le taux d'informalité se situe à des niveaux plus faibles que la moyenne nationale pour les populations dont l'âge varie entre 35 et 59 ans. Ce sont, également, les travailleurs non salariés qui sont les plus touchés par l'informalité avec un taux avoisinant les 61% du total de l'ensemble de la population active. Et bien évidemment, c'est dans le secteur privé que sévit le phénomène du travail informel, à cause de la normalisation de la sécurité sociale du secteur public. L'emploi informel dans le secteur privé a connu une hausse considérable, durant les dernières années en passant de 35,4% en 2012 à 43,3 % en 2015. Le secteur agricole enregistre le taux d'informalité le plus élevé dans le secteur privé avec un taux avoisinant les 60%. Ce qui n'est point surprenant. En effet, les chercheurs conjecturent que la corrélation entre l'informalité et le travail indépendant caractérise l'économie informelle dans les économies des pays en voie de développement. Ainsi, l'informalité du travail est l'une des causes du déficit financier des caisses sociales, notamment la Cnss. L'impératif de réformer Il est notoire que, depuis plus de deux décennies au moins, les caisses de sécurité sociale, notamment, la Cnss qui fait face à un creusement continuel de son déficit financier et un épuisement inexorable de ses réserves. Ce qui inquiéte les autorités sur l'avenir des caisses. Le rapport de ladite étude a mentionné l'impératif de l'extension de la couverture sociale pour inclure l'économie informelle. Etant une condition vitale pour la pérennité des caisses sociales, désormais pilier de la sécurité sociale en Tunisie, les chercheurs tunisiens estiment que l'emploi informel présente un potentiel de ressources financières à explorer en optimisant la collecte des cotisations de la Cnss auprès des actifs occupés informels. Et en dépit des efforts déployés en vue d'étendre la couverture sociale à l'économie informelle, les taux de couverture restent modestes et en deçà des objectifs fixés par les décideurs en ce terme. Malgré la mise en place des régimes de protection sociale qui couvrent la totalité des catégories professionnelles, le taux de couverture sociale dans le secteur privé se situe toujours à un niveau encore faible, soit 56,7% en 2015 contre 54,8% en 2005. Les réformes des régimes de la sécurité sociale, qui sont en train de s'opérer, doivent prendre en considération la nouvelle donne de l'informalité du travail qui sévit chez la population jeune, pour la durabilité des régimes de la sécurité sociale.