Le directeur général de la concurrence et des enquêtes économiques au ministère du Commerce nous livre les grandes lignes d'une action aux objectifs précis. Alimenté particulièrement par la contrebande, le commerce parallèle représente à lui seul près de 50% de l'économie nationale... Pas moins de 40% des fruits et légumes circulent via des réseaux de distribution parallèles et, toutes filiales confondues, cela représente un manque à gagner pour l'Etat de 1,2 milliard de dinars. Ce manque à gagner — estimé par la Banque mondiale — a été doublé entre 2014 et cette année, d'après le ministre du Commerce, Mohsen Hassen, qui pointe du doigt ce phénomène comme étant l'un des principaux éléments qui menacent la paix sociale du pays, y compris à travers le terrorisme. Les autorités de tutelle se sont donné jusqu'à 2020 pour faire baisser son impact dans l'économie nationale à 20%. «Le commerce parallèle demeure, à vrai dire, un phénomène plus enraciné en Tunisie qu'on pourrait le croire... Il a été toléré avant la révolution pour des raisons sociopolitiques et circonstancielles bien déterminées», commente Mohamed Ifa, directeur général de la concurrence et des enquêtes économiques au ministère du Commerce. D'après lui, ce fléau ne cesse de gagner du terrain depuis 2011, en contaminant tous les gouvernorats du pays, ou presque : «Face à une conjoncture économique perturbée par la menace terroriste, la lutte contre la contrebande et le commerce parallèle n'était pas, jusqu'à un passé pas très lointain, une priorité de premier plan pour les gouvernements qui se sont succédé». Depuis 2013, rappelle-t-il, une commission nationale a été créée au niveau de la présidence du gouvernement pour atténuer les répercussions de la contrebande et du commerce parallèle. Une feuille de route a été conçue spécialement pour intervenir sur des secteurs qui nourrissent ce fléau, parfois en liaison avec le terrorisme : les hydrocarbures, le tabac, les pneumatiques, l'électroménager... Une commission nationale Malgré des efforts consentis par les autorités, le commerce informel a pu toucher des secteurs importants de l'économie nationale, à l'instar du textile-habillement, des industries mécaniques et électriques (IME), de l'industrie automobile, des matériaux de construction. Un décret gouvernemental, daté du 11 janvier 2016, a été publié au Journal officiel : il porte sur la création d'une commission nationale chargée du suivi de l'évolution des prix, de la lutte contre la contrebande et le commerce parallèle. Cette commission implique plusieurs ministères (Commerce, Intérieur, Défense, Industrie, Tourisme, Transport, Finances...) ainsi que les professionnels et les partenaires sociaux : l'Utica, l'ODC (Organisation de défense du consommateur) et l'Utap (Union tunisienne de l'Agriculture et de la pêche). «Appelée à se réunir durant la dernière semaine de chaque trimestre, cette commission aura, parmi ses missions phares, celle d'arrêter une liste nominative des contrebandiers et commerçants qui exercent illicitement à travers le pays», fait savoir le directeur de la concurrence et des enquêtes économiques. Le responsable évoque également la création de nouvelles zones logistiques et de libre-échange, principalement dans la zone frontalière de Ben Guerdane, connue pour être le «portail» de la contrebande, vu sa proximité du territoire libyen. Il s'agit de mieux préserver les zones frontalières du pays contre toute infiltration illégale d'individus ou de produits suspects, sans négliger le suivi de l'évolution de la situation générale au niveau du marché intérieur (contrôle des prix, de la qualité et lutte contre les dépassements). A titre d'exemple, l'ODC propose le recours à des centres de collecte de produits agricoles dans une tentative de venir en aide aux petits agriculteurs qui pourraient ainsi commercialiser leurs produits sans l'intervention des intermédiaires. Négocier avec les barons Une lecture comparative du comportement des contrebandiers avant et après 2011 prouve, toujours selon M. Mohamed Ifa, que ces «fraudeurs» se concentraient sur l'agroalimentaire : c'était le principal secteur de leur activité informelle. «Ces commerçants perdent de plus en plus tout sens du patriotisme, puisqu'ils s'impliquent davantage dans des réseaux illicites, partant du trafic de drogue jusqu'au terrorisme, en passant par le blanchiment d'argent et le trafic de devises». Pour lutter contre le phénomène, le ministère du Commerce compte adopter une stratégie qui consiste à passer l'éponge sur le passé frauduleux des barons de la contrebande — pouvant ainsi éviter une certaine reddition de comptes — mais, en contrepartie, exiger d'eux qu'ils s'intègrent dans les circuits commerciaux légaux et qu'ils en respectent la réglementation. Annoncé par le ministre du Commerce, «l'objectif derrière cette décision est d'émettre un message fort aux contrebandiers, appelés à s'intégrer dans les circuits officiels du commerce organisé», assure Mohamed Ifa. Ces «grands contrebandiers», poursuit-il, bénéficieront d'une sorte d'assistance, d'un encadrement spécifique de la part des services officiels compétents, outre la possibilité de leur proposer des idées de projets en les accompagnant au niveau du financement et de la commercialisation. Sinon, une grande frange de la jeunesse tunisienne, notamment celle qui est au chômage, sera une «proie» facile de ce commerce illicite, notamment dans les régions frontalières du Nord-Ouest et du Sud-Est, où le trafic du carburant et des produits alimentaires constitue une source de revenus pour les habitants.