La TSB peine gravement. Elle a besoin d'une augmentation de capital, voire d'une restructuration complète. Pour renflouer ses caisses, elle appelle ses actionnaires au secours. Mais pourquoi sauver, avec l'argent du contribuable, une banque qui n'a plus rien à donner ? Il y a un proverbe tunisien qui dit « il a les fesses à l'air et il porte une bague ». C'est ce que l'on peut dire de l'Etat tunisien qui a du mal à boucler son budget et augmente l'imposition des entreprises, mais qui en même temps cherche à sauver une banque dont il est actionnaire à 50%. La Tunisian Saudi Bank (TSB, ex Stusid) est détenue à égalité entre les Etats tunisien et saoudien. Elle enregistre de gros déficits et a besoin d'une injection de fonds de quelque cent millions de dinars, soit l'équivalent de son capital social. Elle a été créée en 1981, en vertu d'une convention signée entre la République tunisienne et le Royaume d'Arabie Saoudite, sous la dénomination de Société Tuniso-Saoudienne d'Investissement et de Développement (Stusid). Elle avait pour objectif de promouvoir et de réaliser de grands projets novateurs pour la Tunisie assurant, par là même, son rôle d'élément actif pour le soutien et la promotion du partenariat entre la Tunisie et l'Arabie Saoudite. À la lumière d'une nouvelle réglementation bancaire en Tunisie en 2001, elle a cessé d'être une seule banque d'investissement en 2005 et est devenue donc une banque universelle élargissant par là son champ d'action. Elle est devenue Stusid Bank avant de changer vers Tunisian Saudi Bank en 2017.
Théoriquement, cette ouverture aurait dû lui ouvrir de nouveaux horizons, surtout qu'elle a les Saoudiens comme actionnaires. Sauf que la TSB a peiné, et peine encore, à évoluer dans un secteur très concurrentiel. À ce jour, 19 ans après son universalisation, elle ne compte que 26 agences. Très très loin de la première banque privée du pays, la Biat, qui répertorie 206 agences. Selon les derniers chiffres disponibles, ceux de 2021, son produit d'exploitation bancaire est de 98,764 millions de dinars pour un résultat net de 3,672 millions de dinars. En 2020, elle était carrément déficitaire avec 14,836 millions de dinars. À titre comparatif, la Biat a eu un total des produits d'exploitation bancaire de 2,156 milliards de dinars en 2023 pour un résultat net de 331,444 millions de dinars. En clair, le résultat net de la Biat pèse cent fois plus que celui de la TSB. Tant d'écart est-il normal ? Un autre exemple de comparaison, celui de la Tunisian Qatari Bank (QNB), une banque à la taille et au statut similaire à la TSB. En 2023, la QNB a un produit d'exploitation bancaire de 155 millions de dinars pour un résultat net de 56 millions de dinars. Pourquoi la QNB est en bonne santé et améliore ses chiffres d'une année à l'autre et pas la TSB ? On note, au passage, que la TSB a un déficit de communication abyssal puisque ses derniers chiffres publiés remontent à 2021, alors que la majorité des banques tunisiennes universelles publient leurs résultats chaque trimestre.
Ces chiffres bruts devraient faire réfléchir les actionnaires. À quoi bon maintenir en vie une banque qui n'a pas les moyens d'affronter la concurrence ? Quel est le plan d'action pour la sortir du marasme et quels sont les objectifs qu'on cherche à atteindre ? Tout comme la publication de ses résultats, le rapport annuel de gestion fait défaut et l'opacité prime sur la situation réelle à ce jour et son business plan. Le nouveau DG, Yassine Turki, n'a rien communiqué sur le sujet. La banque s'est suffi d'un communiqué de langue de bois lors de sa prise de fonctions. « M. Turki aura la responsabilité d'assainir la situation de la TSB et l'objectif de repositionner la banque sur le chemin de l'excellence et l'accélération de sa transformation digitale pour une meilleure qualité de service », précise ce communiqué daté d'août dernier, venu clôturer un triste feuilleton après le refus (bien justifié et légal) de l'ancien DG de quitter son poste.
Si le public ne sait rien quant à la situation de la banque et son avenir, le ministère des Finances connait les détails. Forte de ces détails, la ministre Sihem Nemsia entend sauver la banque et puiser dans l'argent du contribuable pour ce faire. Ainsi, elle compte injecter cinquante millions de dinars dans la TSB, en guise d'augmentation de capital, probablement le même montant que son co-actionnaire l'Etat saoudien. Cela revient à dire à injecter l'exact montant du capital. N'ayant pas la latitude d'injecter l'argent nécessaire, la ministre a déposé un projet de loi pour lui permettre de souscrire à cette augmentation de capital. De quoi provoquer la colère de certains députés qui, en commission, se sont interrogés sur les raisons de la débâcle de la TSB et ses responsables. Ils se sont aussi demandés pourquoi doit-on sauver cette banque qui, d'après eux, aurait dû passer sous la houlette de la commission de sauvetage des banques et des entreprises en difficulté. Enfin, ils se sont interrogés sur les priorités de l'Etat qui souffre déjà de déficits budgétaires et entend injecter cinquante millions de dinars dans une banque en difficulté. La ministre a botté en touche laissant les députés (et le public) sur leur soif. Elle a parlé en général des difficultés des banques de développement devenues universelles créées en partenariat avec d'autres pays. D'après Mme Nemsia, « ces banques n'ont pas été capables d'affronter la concurrence en raison de leurs petites tailles, l'inefficience de leur gouvernance ainsi que plusieurs autres problèmes d'organisation et de management ». Elle n'a pas dit, ce que tout le monde sait du reste, est que le privé gère souvent mieux que le public et que c'est son département qui a nommé et licencié les différents directeurs généraux. Pour justifier le sauvetage de la banque et l'injection des fonds nécessaires à l'augmentation de capital, Sihem Nemsia a évoqué deux conseils ministériels de 2022 et de 2023 qui ont décidé de préserver les participations de l'Etat dans ces banques et ce dans le cadre de la stratégie de l'Etat de préserver les entreprises publiques. Elle précise que c'est la Commission d'assainissement et de restructuration des établissements publics qui est derrière la décision d'augmentation du capital qui a ainsi donné le feu vert à ce que l'Etat injecte les fonds nécessaires à cette augmentation. Le proverbe tunisien évoqué plus haut sied à merveille à cette stratégie.
Quel est le business plan et quels sont les plans d'actions de la banque ? On l'ignore et, visiblement, Mme Nemsia l'ignore aussi puisqu'elle affirme qu'un rapport à ce sujet sera bientôt soumis au gouvernement. Dans ce rapport, qui n'existe pas encore puisqu'il n'a pas été publié, ni soumis aux députés, se trouvera (inchallah) un audit de la gouvernance, la politique commerciale de la banque et les différents scénarios quant aux besoins de fonds propres nécessaires pour la pérennité de la banque. En résumé, la TSB réclame de l'argent à ses actionnaires, elle fixe le montant dont elle a besoin, mais on ne sait pas encore où et comment cet argent va aller. C'est évident que la banque n'a pas la possibilité de concurrencer les grandes banques de la place, mais l'Etat tient quand même à la maintenir en vie quoi qu'il (nous) en coûte. La TSB n'est pas l'unique entreprise publique souffrante que l'Etat cherche à préserver malgré son inutilité et son inefficience. L'argent injecté dans ce type d'entreprises se chiffre à des centaines de millions de dinars que l'Etat n'a pas. Pourquoi ? Une nouvelle fois, le proverbe tunisien revient à l'esprit.