Une banque déficitaire et dont les résultats 2023 ne sont toujours pas publiés. Un directeur général limogé moins de deux ans après sa nomination. Un nouveau directeur général parachuté par le ministère des Finances, mais qui peine à occuper ses nouvelles fonctions, car son prédécesseur refuse de les quitter. C'est clair, la Tunisian Saudi Bank (TSB, ex Stusid) vit une crise sans précédent. De toutes les banques universelles tunisiennes, la TSB est celle qui a probablement les pires résultats. Alors que les chiffres de 2023 ne sont pas encore rendus publics, ceux de 2022 montrent un déficit de 63,255 millions de dinars. Comment une banque peut être déficitaire, alors que les autres chiffrent leurs bénéfices en millions de dinars, grâce à une conjoncture et une politique de l'Etat des plus favorables pour elles ? La TSB est une banque universelle créée en 1981 en vertu d'une convention signée entre la République tunisienne et le Royaume d'Arabie Saoudite qui partagent, à égalité, son capital. Elle a démarré en tant que société de développement et d'investissement sous la dénomination Stusid et s'est engagée dans la promotion et la réalisation de grands projets novateurs pour la Tunisie et la promotion du partenariat entre la Tunisie et l'Arabie Saoudite. En 2005, Stusid s'est attelée à élargir son champ d'action par l'introduction des métiers de la banque universelle et a amorcé sa conversion en devenant Stusid Bank avant de devenir Tunisian Saudi Bank en 2017. Son conseil d'administration est composé de six Tunisiens et six Saoudiens avec, pour président, le Saoudien Abdulrahmen Muhammed Ramzi Addas.
Théoriquement, c'est ce conseil d'administration qui nomme et limoge le directeur général. C'est ce qui se passe, du moins, dans toutes les banques et les sociétés anonymes aussi bien en Tunisie que dans le monde. Sauf que les choses ne se sont pas toujours passés ainsi à la TSB. En Tunisie, le ministère nomme le directeur général puis fait entériner la nomination, ultérieurement, par le conseil d'administration. C'est ce qui s'est passé en octobre 2022 avec le parachutage de Nabil Chahdoura, à la suite d'un casting opéré par le ministère des Finances. Moins de deux ans après, le même Chahdoura est limogé par le même ministère des Finances qui nomme, à sa place, Yassine Turki, un transfuge de la BNA. Il y était depuis vingt ans et a travaillé en tant qu'auditeur au conseil de surveillance et directeur de l'audit interne et l'inspection. La nomination a eu lieu vers le 20 juin 2024, mais à ce jour M. Turki peine à occuper son nouveau poste car M. Chahdoura refuse de le quitter. Ce dernier argue que le ministère des Finances ne peut pas nommer et limoger le directeur général et qu'il s'agit là des prérogatives exclusives du conseil d'administration. Sauf que le conseil d'administration en question ne s'est pas réuni et il n'est pas dit qu'il a une réelle volonté de limoger un directeur général moins de deux ans après sa nomination. Les six Saoudiens du conseil soutiendraient M. Chahdoura. Quant aux six Tunisiens, il n'est pas garanti qu'ils soient totalement obéissants aux desiderata du ministère, d'autant plus qu'il y a un membre indépendant parmi eux, Abdelhamid Rzem. Fort du soutien des administrateurs saoudiens, voire de la majorité des administrateurs, sûr de son bon droit au vu des textes de loi régissant les sociétés, Nabil Chahdoura s'agrippe donc à son fauteuil, créant ainsi une crise sans précédent aussi bien à la TSB que dans le secteur. « Faux, ce n'est pas lui qui a créé la crise, c'est le ministère des Finances qui l'a créée avec ce parachutage et ce piétinement des prérogatives exclusives du conseil d'administration », réplique un de ses proches. Ceci est vrai, mais ceci était également vrai en 2022, puisque M. Chahdoura a été nommé à ce poste exactement de la même manière, par le même ministère des Finances.
Quoi qu'il en soit, la situation de la banque est désastreuse, d'après les derniers chiffres rendus publics. Nabil Chahdoura a été nommé pour les redresser et il semblerait qu'il n'a pas encore réussi son exercice. Peut-on le juger moins de deux ans après sa nomination. D'après Zouheïr Arfaoui, secrétaire général du syndicat de base de la TSB, la situation s'est dégradée depuis la nomination de M. Chahdoura. « Le personnel et les cadres de la banque sont inquiets et l'opacité régnante n'arrange rien. Ce malaise est ressenti depuis la nomination du directeur général qui a envenimé la situation puisqu'il s'est avéré qu'il n'a aucune expérience pour diriger une banque et a échoué à le développer. Pire, il a poussé au départ de plusieurs compétences et cadres vers des banques concurrentes », déclare M. Arfaoui à Echaâb News, journal officiel de la centrale syndicale, UGTT. À la lecture des états financiers de la banque, il s'avère en effet que le déficit de la banque a coïncidé avec l'arrivée de Nabil Chahdoura. Alors qu'elle était bénéficiaire de six millions de dinars en 2021, la banque est devenue déficitaire en 2022 avec 63,255 millions de dinars. Le directeur général peut-il être comptable de ce déficit alors qu'il n'est arrivé qu'en octobre et que sa prédécesseuse par intérim (durant cinq mois) est une administratrice de la banque ? Et pourquoi n'a-t-il toujours pas publié ses comptes 2023, alors qu'on est déjà au second semestre, sachant que ceux de 2022 n'ont toujours pas été publiés sur le site de la banque et n'ont été publiés par le Conseil du marché financier qu'en avril dernier ? En tout état de cause, c'est au conseil d'administration et uniquement au conseil d'administration de juger le travail de M. Chahdoura. En Tunisie, sous le régime autoritaire de Kaïs Saïed, le ministère des Finances a un autre avis et agit comme si la TSB était un bien propre qui lui appartient totalement, oubliant que la TSB n'est publique qu'à hauteur de 50%.