Fin du suspens. Après des mois de spéculations à propos de la date de l'élection présidentielle, le chef de l'Etat, dans sa grande largesse, a enfin concédé à nous balancer du concret, une date : le 6 octobre. Une date symbolique dans la mémoire collective qui a vite fait d'être récupérée par les amoureux du processus : « Ce sera le jour du glorieux passage de la désillusion vers l'espoir. Ce sera le jour de l'enterrement définitif du système d'avant le 25-Juillet », pouvait-on lire le soir-même de la signature de la convocation des électeurs. Le choix n'était pas anodin et le message était clair : passons définitivement à l'instauration de la nouvelle ère épurée, celle des patriotes et des honnêtes. Arrêtons-nous aussi un peu sur cette manie de nous présenter l'annonce d'une date pour l'élection comme un privilège qu'on nous accorde. Tout d'abord, il ne s'agit aucunement d'un privilège et si cela est considéré comme tel, ça ne veut dire qu'une chose : que c'est le règne de l'arbitraire. Ensuite, à quelques mois du scrutin, la date est restée incertaine poussant certains à évoquer une annulation. Une situation qui n'avait rien de normal même dans les pays qui ne brillent pas par leur démocratie. Par ailleurs, ce n'était pas au président de fixer cette date, mais à l'Instance dite indépendante pour les élections qui s'est délestée volontairement de ses prérogatives au profit du chef de l'exécutif probable candidat à sa succession. Bref !
Maintenant que la date est fixée, plusieurs questions s'imposent. L'Isie qui guettait la fumée blanche de Carthage s'est empressée d'annoncer le calendrier électoral et les conditions de candidature. Comme on s'y attendait, les candidats devront présenter un bulletin numéro 3 attestant d'un casier judiciaire vide, alors même que le Tribunal administratif avait auparavant rejeté l'ajout de cette condition qui compliquerait la procédure. Il faut savoir que si le dépôt de candidature peut se faire directement par le candidat ou une personne le représentant, le B3 ne peut être extrait que par la seule personne concernée. Quelqu'un qui est, par exemple, dans l'impossibilité de se déplacer pour déposer une demande de B3 puis retirer le document, sera lésé et ne pourra pas se porter candidat s'il le souhaitait. Quand on sait que plusieurs candidats sont actuellement derrière les verrous, cette mesure ne peut que porter atteinte au principe d'égalité des chances que l'instance a pourtant l'obligation de préserver.
D'autre part, l'Isie a annoncé qu'elle commencera à exercer son contrôle sur la scène médiatique (exit la Haica), l'espace public et le financement des partis et des associations avant le début de la campagne. Le but de cette entreprise, affirme l'instance, est de traquer les phénomènes nuisibles notamment les fake news et la diffamation. De quelle manière appréhender cette annonce alors même que l'Isie a poursuivi des dizaines de personnes entre activistes, journalistes et politiciens sur la base du décret liberticide 54 pour de simples critiques ? La candidate à la présidentielle Abir Moussi est par exemple sous l'effet de deux mandats de dépôt à la suite de plaintes de l'instance. Comment présumer de l'indépendance de l'Isie dans ce cas particulier si elle se trouve être juge et partie ? Et pour ce qui est des journalistes, dans quelles conditions pourraient-ils couvrir cette campagne électorale, alors que l'Isie s'est arrogée les prérogatives de la Haica, tout en brandissant la menace du 54 ?
Indépendamment du rôle joué par l'Isie, peut-on dire que le climat général dans le pays permet de réunir les conditions d'une élection qui consacre les principes de l'égalité des chances, de l'intégrité et de la transparence ? Le fait est là, une chape de plomb s'est abattue sur la scène nationale. Le régime a semé la peur en s'attaquant à toute voix critique et en rangeant les opposants dans la case des traitres/comploteurs. Quelles garanties pourraient donc présenter cette élection au même moment où les concurrents sérieux sont incarcérés ou sous le coup de poursuites et d'autres exilés ? Peut-on compter sur des médias qui joueront pleinement et librement leur rôle, concomitamment aux multiples poursuites et à l'incarcération de journalistes pour avoir "commis" leur profession ? Des médias qui ont été pour la plupart mis au pas et expurgés des éléments "perturbateurs". Il ne reste que quelques journalistes qui risquent encore gros avec une épée de Damoclès qui leur scalpe pratiquement la crinière.
Le verrouillage du pays a été mis en branle progressivement en prévision du climax électoral. En politique, il n'y a pas de coïncidences. Ben Ali organisait des élections présidentielles et elles étaient bien organisées dans le climat qu'on connait tous maintenant. Les dés étaient pipés et ces scrutins ne constituaient qu'un simple passage, presque obligé, pour se donner la stature de la légitimité.