La page "Tounes Al Jadida" a publié sur Facebook une information selon laquelle une décision a été prise pour criminaliser le mouvement Ennahdha et geler tous ses avoirs financiers. Le post, diffusé le 26 juillet 2023, affirmait : « C'est officiel et exclusif. A l'occasion de la fête de la République, nous annonçons une bonne nouvelle au peuple tunisien : la décision de criminaliser le mouvement Ennahdha, de le dissoudre, de confisquer ses biens et de geler ses avoirs, et de poursuivre tous les dirigeants du parti sans exception... Cette décision sera mise en œuvre dans les prochains jours, voire dans les prochaines heures ».
Cette information a été relayée par plusieurs pages proches du président de la République Kaïs Saïed, telles que la "Page officielle des partisans du président Kaïs Saïed" et la page "Al Majed lel Chaab". Cette nouvelle a suscité diverses réactions. Certains ont salué cette supposée décision, notamment les proches et partisans du président Kaïs Saïed, en disant : « Enfin, Ennahdha sera dissous et rendra des comptes » tandis que d'autres ont critiqué en déclarant : « Ceci est inacceptable et illégal ».
En cherchant la source de cette information, il s'est avéré que la page "Tounes Al Jadida" était la première à publier cette nouvelle sans mentionner de source officielle. Nous avons effectué des recherches en utilisant des mots-clés sur Google et les sites d'informations, et nous n'avons trouvé aucune trace de cette décision. Nous avons contacté le membre du bureau exécutif et chargé de communication au sein du mouvement Ennahdha, Abdelfatteh Taghouti, qui a catégoriquement démenti l'information, en affirmant : « Nous n'avons aucune connaissance de cette décision, la dissolution du mouvement ne peut être décidée que par une décision judiciaire, et le mouvement a prouvé son innocence de toutes les accusations ». Dans le même contexte, une source judiciaire a nié la véracité de cette information, en confirmant qu'une dissolution d'un parti passe par un processus juridique défini par la loi sur les partis, et qu'elle ne peut être prise unilatéralement.
Il est important de rappeler à cet égard que la dissolution des partis ne peut se faire sans base légale, et la loi 78 régissant les partis prévoit un processus graduel pour la dissolution, ce qui signifie qu'une dissolution immédiate n'est pas possible. Le parti concerné est d'abord averti, puis son activité est suspendue, et en cas de non-respect, la dissolution est prononcée par le biais du système judiciaire. Dans ce cas, aucun avertissement ou notification n'a été donné à Ennahdha, comme l'a confirmé le porte-parole du mouvement. Le recours à la dissolution des partis intervient en cas de grave violation de leur rôle assigné, et plusieurs sanctions sont appliquées avant la dissolution, notamment en cas de financement illégal, d'incitation à la violence et à la haine... Cependant, la dissolution ne peut être prononcée que conformément à la loi tunisienne.
A noter que le juge d'instruction près le Tribunal de première instance de l'Ariana a émis, vendredi 9 juin 2023, un mandat de dépôt contre le chef du mouvement Ennahdha, Rached Ghannouchi, dans le cadre de l'affaire dite de l'appareil secret. L'affaire a été lancée suite, rappelons-le, à la découverte de plusieurs cartons contenant des documents relatifs à la situation sécuritaire en Tunisie, au fonctionnement du ministère de l'Intérieur et à des enregistrements, des rapports concernant des personnages publics et figures de la scène politique et un équipement de surveillance. Cet événement a représenté le point de départ de ce qui avait été appelé par la suite l'affaire de l'appareil secret d'Ennahdha, une sorte de police secrète et de réseau d'espionnage composés de civils, de policiers, ainsi que d'un ancien militaire. Rached Ghannouchi avait été auditionné dans le cadre de cette affaire en 2019. En février 2022, le membre du comité de défense des martyrs Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, Ridha Raddaoui, avait annoncé qu'un certain Nejah Belhaj Ltaief jouait le rôle d'homme de main de Rached Ghannouchi et était impliqué dans ce grand réseau formé par le président du mouvement Ennahdha. Il serait chargé de la collecte de fonds à l'étranger et de leurs acheminements vers la Tunisie. Il a, aussi, affirmé que le réseau d'Ennahdha incluait une équipe chargée d'espionner des hommes politiques, de hauts cadres sécuritaires et des magistrats et que les enregistrements étaient remis à Rached Ghannouchi. Les enquêtes conduites par la justice tunisienne ont conduit à l'émission d'une interdiction de voyage à l'encontre du président du mouvement Ennahdha, Rached Ghannouchi, à la date du 27 mai 2022.
Pour rappel, Rached Ghannouchi a aussi été condamné à un an de prison par contumace, ainsi qu'à verser une amende de mille dinars pour avoir qualifié les sécuritaires de « Taghout ». Les faits remontent à février 2022. Il a décidé de boycotter toute convocation émanant d'un juge d'instruction. Rached Ghannouchi a été arrêté suite à une allocution prononcée durant une rencontre ramadanesque tenue le 15 avril 2023 par le Front de salut national. Celle-ci avait été diffusée et relayée sur les réseaux sociaux. Il est accusé de complot contre la sûreté nationale et d'attentat ayant pour but de changer la forme du gouvernement, d'inciter les gens à s'armer les uns contre les autres ou à provoquer le désordre.