• «Je voterai pour le nectar!» Vous l'avez sans doute remarqué en ville, sur les panneaux réservés à l'affichage publicitaire, sur les pages des journaux et sur les pages des sites électroniques : il s'agit d'une campagne de promotion pour une boisson qui utilise des slogans à connotation très politiques. Elle nous demande même, actualité électorale oblige, de « voter » pour les fruits à partir desquels la boisson objet de la réclame est obtenue. C'est original comme choix publicitaire, même si après le 14 janvier 2011, on a enregistré quelques renvois à la révolution et à ses idéaux dans les textes des annonceurs tunisiens et égyptiens. Dans la nouvelle publicité évoquée plus haut, les slogans parodient ceux des discours politiques, notamment en période de campagne électorale. On y fait même référence avec le même humour décalé à des slogans internationaux universellement connus. Tout cela pour « élire » la saveur de sa boisson préférée ! Le producteur de cette marque ne risque pas d'être épinglé par l'Instance Supérieure Indépendante pour les Elections (ISIE), parce que son entreprise ne s'adonne pas à la publicité politique, elle utilise la politique dans sa publicité en exploitant l'événement de ces derniers jours, à savoir les campagnes des partis candidats aux élections de la Constituante. En fait et comme chacun sait, les discours des politiques en pareilles campagnes ne diffèrent quasiment en rien des discours des publicitaires. A la pelle… Ce sont, en effet, des discours publicitaires qui recourent à une rhétorique très proche de celle des annonceurs et qui ne s'interdisent pas- lorsqu'un poste politique est en jeu- de maquiller les réalités, de gauchir l'Histoire, de mentir quoi ! Mais alors que la publicité mensongère expose son auteur à des sanctions pénales, on ne peut pas en dire autant des campagnes politiques mensongères : un parti politique qui promet aux foules la baguette à 100 millimes et le couffin de légumes et de fruits à 500 millimes ne ment pas ; il vend des sornettes ; il commercialise des chimères ; il promet monts et merveilles ; il fait miroiter des lendemains meilleurs devant ses électeurs. Du point de vue de la loi, il y a pleinement droit. Tant que c'est prospectif, nul ne peut le juger pour ce qu'il n'a pas encore fait. C'est comme dans les relations homme-femme : une promesse de mariage ne vaut pas une obligation de mariage. A propos d'hyménées, certains de nos partis politiques jouent désormais aux marieuses et vont jusqu'à promettre de financer les noces des plus démunis. D'autres s'engagent à embaucher tous nos chômeurs en moins de deux quinquennats. Les Islamistes, eux, promettent de ne rien changer dans nos mœurs libérales et de faire mieux que Bourguiba en matière d'émancipation féminine. Devant tant de strip-tease et de strip-teaseurs politiques, on a l'embarras du choix. On est même tenté de voter pour tout ce monde à la fois tant ils nous séduisent chacun dans son style. Un vote ici et un autre à l'étranger ! Côté séduction, justement, un parti comme Ennahdha s'y prend doublement : car il ne doit pas seulement convaincre ses électeurs locaux mais surtout rassurer les « observateurs » internationaux qui suivent de très près (voire de trop près) la courbe de notre transition démocratique. Les intentions de vote nettement favorables aux Islamistes inquiètent les Américains par exemple, et, d'après certaines indiscrétions, ces derniers l'ont dernièrement laissé entendre à M.Béji Caid Essebsi lequel s'est vu forcé d'édulcorer l'avenir politique de notre pays encore entouré de multiples incertitudes. A propos de la visite de notre Premier Ministre aux U.S.A. et au sujet des serments d'ouverture jurés par Ennahdha à l'intention des puissances occidentales, ce sont des éléments révélateurs du poids que représentent l'Occident et ses alliés (Israël en tête) dans la transition politique à venir en Tunisie et dans tous les autres pays arabes candidats au changement démocratique : l'Occident n'a pas vraiment changé de politique à l'égard des régimes arabes et même après les révolutions réussies ici et là, on y sollicitera encore l'aval des grandes puissances pour monter au pouvoir. Les Américains, les Britanniques, les Français ne voudront assurément pas d'un régime tunisien hostile à leurs intérêts cruciaux ni à ceux d'Israël. Ceux qui, chez nous, se présentent aux élections de la Constituante n'ignorent pas cette évidence. Les candidats d'Ennahdha en particulier qui savent parfaitement que leur arrivée au pouvoir passe inévitablement par une opération de charme à l'adresse des grands de ce monde. Il est dans leur intérêt, pour être élus et pour durer au pouvoir, de ne pas contrarier les fondamentaux de l'Occident, à savoir une économie libérale et une ouverture inconditionnelle sur les investisseurs et les multinationales de ces pays. De plus, ils doivent ménager l'Etat sioniste et si possible collaborer avec ses dirigeants. En contrepartie de ces concessions, on leur accordera quelques libertés d'action sans danger pour les intérêts des puissants, comme cela se passe dans certains pays du Moyen-Orient et en Asie. En réalité, et dans le contexte mondial actuel qui bénéficie toujours aux Occidentaux, n'importe quelle formation politique tunisienne forte (et pas seulement les Nahdhaouis) décuplera ses chances de remporter les élections si elle répond au profil exigé par les maîtres de ce monde. Le vote du 23 Octobre prochain se déroulera certes en Tunisie, mais avant et après cette échéance, il y a un examen à réussir en dehors de nos frontières ! Badreddine BEN HENDA ourwa [email protected] sihem [email protected]