La gueule de bois. Les Tunisiens qui ne sont pas d'accord avec le processus entamé en juillet 2021 se sont réveillés, le lendemain de la proclamation des résultats préliminaires de la présidentielle, avec cette sensation désagréable. Le cœur nauséeux, le cœur lourd, anxieux et sonnés. Des symptômes provoqués par une consommation excessive de naïveté. Comment pouvait-on croire qu'après toutes les péripéties qui ont amené aux résultats du 6 octobre, il devait en être autrement ? Il fallait être bien crédule pour espérer un autre dénouement. Sous le choc, beaucoup ont annoncé se détourner de la chose publique et qu'ils s'en lavaient désormais les mains. Les déserteurs prouvent une nouvelle fois leur grande naïveté pensant qu'en se taisant, les choses iraient mieux pour eux. A moins de se retirer complétement de la société et de suivre la voie de l'ascète, rien ne les prémunira d'être rattrapés par la réalité politique, parce que tout est politique.
D'autre part, il y a ceux qui sont attirés par un chant de sirène qui s'est fait entendre par les plus proches du pouvoir. Une trêve politique. Les belles paroles sont de sortie et certains tendent à s'y inscrire omettant qu'en suivant ce chant, ils perdraient la boussole et se fracasseraient superbement. D'aucuns n'ont pas bien saisi les nuances de ces appels à l'apaisement. Il faudrait prêter allégeance au processus du 25-Juillet et à celui du 6-Octobre pour espérer être adoubé. En dehors de ce cadre, le mieux que l'on puisse espérer c'est d'être piétiné. Rien n'est plus clair. Bien évidemment, un régime, quelle que soit sa nature, a besoin d'une période de trêve. Se trouver dans une situation de conflit perpétuel est usant et peut être contre-productif. Chercher une accalmie, conditionnée tout de même par l'adhésion au processus, ne pourrait qu'être bénéfique pour le pouvoir. Suspendre les hostilités avec ceux qui ne veulent plus être hostiles ou qui montrent patte blanche n'est pas bien difficile. Et puis obtenir une trêve, c'est se donner le temps de se réorganiser, de se réinstaller, c'est neutraliser le plus possible de monde pour mieux attaquer par la suite.
Est-il cliché de reprendre cette citation de Hegel : « La seule chose que nous apprenons de l'Histoire, c'est que nous n'apprenons rien de l'histoire », pour qualifier ceux qui ne saisissent pas la particularité du moment ? Cliché, ça l'est peut-être, mais ce qui est certain c'est que l'Histoire peut nous donner d'innombrables exemples à méditer en dépit des différences de contexte. Un Hitler vainqueur des législatives en 1933, mais manquant de sièges pour asseoir sa dictature n'avait-il pas eu besoin d'un apaisement pour convaincre tout le spectre politique (sauf les communistes) à adhérer à son projet en présentant des garanties qui, nous le savons aujourd'hui, ne seront jamais respectées ? Un Ben Ali après le putsch contre Bourguiba qui cherche l'apaisement politique en supprimant la présidence à vie et les tribunaux d'exception, en autorisant des partis, des journaux et des associations. Un Pacte national est signé, des garanties sont présentées. Cela n'a duré qu'une brève période, le temps de détenir tous les mécanismes pour un verrouillage total.
Il est incompréhensible qu'après cinq années sous Kaïs Saïed (trois ans de pleins pouvoirs), les gens ne saisissent pas les évidences. Les personnes emprisonnées devraient rester en prison, il n'y a pas lieu d'arrangements. Le président n'a jamais caché ses intentions. Il a toujours exprimé ce qu'il pense sans détour. Le 6 octobre, auréolé par son plébiscite, il a réaffirmé avec force qu'il allait assainir définitivement le pays de tous les « corrompus », les « comploteurs » et même les « sceptiques ». Alors qu'on cesse de nous faire miroiter l'illusion de la trêve.