Ce dimanche, nous avons sillonné les principales artères de la capitale avec l'intention de dresser un état des lieux sur l'affichage publicitaire en centre-ville. De la Place de Barcelone jusqu'à l'avenue de la Liberté, nous avons rencontré quasiment les mêmes affiches, fait les mêmes constatations et tiré les mêmes conclusions. Nous allons commencer par la fin et révéler au lecteur les enseignements que nous avons retenus après notre petite enquête urbaine. D'abord, force est de saluer l'effort municipal indéniable dans la multiplication et l'organisation des panneaux publicitaires de la ville et dans l'amélioration de la qualité et de la solidité de ces supports de moins en moins inesthétiques. Le promeneur constate en effet le nombre croissant des panneaux d'affichage protégés et régulièrement actualisés et entretenus. Dans la plupart des stations de bus et de métro et dans les principales gares ferroviaires et routières de Tunis, les affiches sont généralement préservées du vandalisme de certains citoyens. Des sortes de niches leur sont réservées à plusieurs autres endroits de la cité. Les panneaux géants installés en centre-ville sont à l'abri de toute violence incivique tant leur hauteur les a rendus inaccessibles. Mesures urgentes à prendre Cette louable campagne n'est toutefois pas encore généralisée. Les rues Charles de Gaulle, Jamel Abdennasser, El Jazira, Farhat Hached, Bab Jedid, Ibn Khaldoun, les avenues de Paris, Habib Thameur, la Liberté, Londres, et Madrid en manquent affreusement. Même l'Avenue Habib Bourguiba et l'Avenue de France ont besoin qu'on y implante des supports publicitaires moins exposés au saccage des passants. Concernant les constructions cylindriques héritées de l'époque coloniale et que l'on utilise comme supports publicitaires un peu partout à Tunis, (on les appelle les colonnes Morris du nom de celui qui en a conçu l'idée), il vaut mieux les entourer de grilles ou d'écrans protecteurs, autrement les mains indélicates continueraient impunément à les dégrader. La même précaution est à prendre avec les panneaux découverts encore fonctionnels. En tout cas, les responsables municipaux doivent progressivement bannir l'affichage sauvage à même les murs des bâtiments car cela nuit grandement à la beauté et à la propreté de la capitale. Il va de soi que la mesure est à prendre par les édiles de toutes les autres villes du pays. Qui défigure les murs de la ville ? L'autre constatation amère que nous avons faite lors de notre tournée concerne la responsabilité directe ou indirecte de certaines institutions publiques dans la mutilation du paysage urbain par l'affichage sauvage d'annonces diverses. Il s'agit très souvent d'associations relevant de certains ministères qui organisent des galas ou des représentations théâtrales en faveur de leurs affiliés. Les affiches de promotion consacrées à ces spectacles sont collées n'importe où et n'importe comment injuriant en même temps le bon goût et le sens civique et passant quelquefois outre les règlements municipaux. Mais une part de la responsabilité retombe sur les épaules des petits annonceurs qui ne respectent pratiquement aucun code moral ni civique et posent leurs écriteaux où bon leur semble. Coiffeuses, écoles de formation professionnelle, recruteurs de femmes de ménage, brocanteurs, tout ce monde ne se gêne pas le moins du monde pour enlaidir, avec des affichettes mal écrites et bourrées de fautes de tout genre, les façades des administrations publiques et privées, les vitrines des magasins et les entrées des mosquées et mêmes les candélabres! Pourquoi Bon Dieu les laisse-t-on faire alors que leurs adresses et leurs numéros de téléphone sont nettement mentionnés en tête ou en bas des gribouillis affichés ? Sont-ils au-dessus de la loi ? Si au contraire ils ont reçu l'autorisation de défigurer la ville, qui leur a reconnu ce droit et au nom de quelle vertu citoyenne le leur a-t-on accordé ? En cette période de campagne municipale, ce n'est point criminel de poser de pareilles questions ! Badreddine BEN HENDA ------------------------- «Attention ! Spectacle déprimant !» Les très nombreuses affiches artistiques placardées les unes sur les autres et dans un total désordre en centre-ville finissent elles-mêmes par donner lieu à de drôles de spectacles dont le grotesque est digne des meilleures productions du théâtre de l'absurde. On y voit Lotfi Abdelli piétiner le crâne dégarni de Jaafar El Guesmi lequel écrase de tout son poids le malingre Abdelkader Dkhil pendant que les minuscules doigts de celui-ci s'enfouissent malencontreusement dans la belle toison de Naouel Ghachem. Quelquefois, c'est Zahira Ben Ammar qui accomplit sa petite foulée au-dessus de la poussette de « Madame Kenza » et la flûte de Jalloul Jelassi. Il arrive aussi que les moustaches de Hédi Donia effleurent les souliers de Lamine Nahdi. Ce dernier perd tantôt un œil, tantôt le nez et la bouche tout ensemble pour faire de la place au charmant minois de Najet Attia. Les noms de tous ces artistes ainsi que les titres de leurs spectacles et le reste des inscriptions de l'affiche s'enchevêtrent allègrement pour former des structures grammaticales jamais rencontrées ni en langue arabe ni dans aucun parler humain, et pour semer une hallucinante confusion entre les variétés proposées, leurs organisateurs, leurs producteurs et leurs animateurs. Devant cet abracadabrant brouillamini publicitaire, dominé ces derniers temps par le corps en apesanteur de Lotfi Abdelli et par le portrait extravagant de Yahia Yaiche, nouveau héros de Fadhel Jaibi, le passant tomberait à la renverse s'il y prêtait trop d'attention. C'est pourquoi nous conseillons de toujours se tenir à bonne distance de ces bizarroïdes fresques murales en face desquelles il faut placer des pancartes portant la mise en garde : « attention, cour des miracles ! »