Par Hamma Hanachi Médias et pouvoir, un couple mal uni, en constante querelle. Dans la Tunisie post-révolution, les scènes de ménage entre les deux explosent fréquemment. Le décret-loi 115 du 2 novembre 2011, relatif au droit à la liberté de la presse et la liberté d'expression ratifié par le Président de la République reste toujours en état d'hibernation. Sans aucune explication. A toutes les occasions, les journalistes revendiquent l'application du projet. Les élus de la majorité dominante à l'ANC ne semblent pas pressés, à chaque fois, ils sortent de leurs manches une idée, un projet de loi pour étouffer ledit décret-loi. La dernière trouvaille provient de S.A. élue du mouvement Ennahdha. Lors d'une conférence sur Les garanties normatives et institutionnelles de la liberté d'expression, initiée par des organisations internationales spécialisées —Institut arabe des Droits de l'Homme, Conseil de l'Europe et l'Organisation internationale de la francophonie—, elle annonce qu'un nouveau projet de loi organique est soumis à l'ANC et sera discuté au sein de l'Assemblée. La recette est vieille, ça commence par servir ça et là des plats aux relents pourris jusqu'à en faire accepter le goût. Ces préparations liberticides ont pour but d'abroger entièrement ou en partie le décret-loi 115, jugé trop libéral. Le corps de métier reste vigilant. Les scènes de ménage sont légion, elles continuent à alimenter l'actualité, coup sur coup, deux hauts responsables de la présidence de la République accouchent des actes indignes ou pour le moins déplacés, l'un déclare refuser la candidature proposée par le syndicat d'un journaliste à la Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle (HAICA), sous prétexte que le dossier est insuffisant. L'autre intervient sur les ondes de la radio, sans peur du ridicule, il annonce sans preuves le renvoi d'un journaliste d'une chaîne de télévision française au motif de diffusion de fausses informations. Réflexe de père Fouettard, obsédé par la glorification de son patron. La chaîne en question dément les propos du conseiller peu diplomatique, mieux elle consolide les informations de son journaliste. 9 avril, défilé impressionnant, mouvement de masse énorme, pas de trêve pour les journalistes à la recherche de l'information chez les uns et les autres. Dans le rassemblement du mouvement Ennahdha, les organisateurs refusent l'accès à deux médias jugés indésirables. Ce n'est pas le premier ni le dernier avatar de ce mouvement. L'information aux yeux de ses militants devrait être «objective» (sic). Samedi, assisté à une table ronde dans le cadre Al Kalimat, le marathon des mots, à Ennejma Ezzahra, thème : Médias et pouvoir. Invités Cyril Karray, jeune blogueur, Hachemi Ghozali (revue Rokh), Akram Belkaïd, journaliste, essayiste (A la rencontre du Maghreb éd. La Découverte IMA), Hassan Arfaoui, rédacteur en chef du magazine Réalité, en présence de celui qu'on désigne seulement par des initiales PPDA, illustre présentateur de télé française, journaliste vedette et écrivain (Jeux de mémoires, Robert Laffont). On s'attendait à un débat houleux, des faits, des thèses, des comparaisons, des contradicteurs, de la ferveur, du nerf, une bataille tant le sujet est brûlant, au lieu de la guerre attendue, on a eu des exposés convenus, des témoignages peu vigoureux, des références conventionnelles, des propositions rebattues, bref, en deçà des attentes. Pourtant l'animateur, Marc Voinchet (France Culture) s'est épuisé à réveiller les uns et les autres, on a relevé la pertinence du jeune Cyril Karray, appelant à boycotter les chaînes télé abrutissantes et aller découvrir du côté des blogs d'investigation par exemple. «C'est là que la vraie histoire du processus révolutionnaire se fait», résume-t-il. Chacun à sa façon et son expérience, les intervenants ont traité le sujet sous l'angle des médias face au pouvoir politique, un consensus : le journaliste ne doit se plier à aucun pouvoir, il ne doit être ni engagé, encore moins partisan, pas de perversion, de déformations des faits, seule la recherche de la vérité le guide. PPDA, qui a quitté la télé, relate ses amertumes, ses accidents de parcours avec les chefs d'Etat et appuie l'idée d'un journalisme d'enquête et d'investigation. Forcément, le reportage de guerre tendancieux lors de l'invasion de l'Irak a été copieusement critiqué. Recherche de la vérité, tel est le mot qui a prévalu. Inévitablement, l'exemplaire journalisme sans concession de Médiapart a été fréquemment cité, commenté. Le site d'investigation vient d'ajouter à son tableau de chasse un gros gibier qui fait encore des vagues au-delà de l'Hexagone et secoue le cercle des médias ensommeillés ou hostiles au site : le sulfureux scandale de Jérôme Cahuzac, ministre du Budget du gouvernement J.M.Ayrault. Décidément, dans un régime démocratique, il est inconcevable de croire à une coexistence pacifique entre les médias et le pouvoir.