Le bateau Nida prend l'eau de toutes parts. L'annonce, avant-hier sur les ondes de Radio Med, de la démission du ministre Lazhar Akremi, figure de proue de Nida, jette un pavé dans la mare du gouvernement. Déjà que l'atmosphère politique n'est guère reluisante. Menaces, insécurité, rumeurs, extrapolations, conjectures et angoisse émaillent le quotidien du Tunisien. Ajoutons-y la crise économique et sociale endémique et le renchérissement vertigineux des prix sur fond d'un pouvoir d'achat qui n'en finit pas de s'éroder. Visiblement, Habib Essid a maille à partir avec l'aile gauche de Nida tounès. En démissionnant, Lazhar Akremi a pointé plusieurs tares du système en place et de l'establishment. Corruption, dérive présidentialiste du régime politique, absence d'un grand projet unificateur et salvateur, tout y passe. Quelques heures plus tard, c'est Mondher Belhaj Ali, autre figure de proue du cercle fondateur de Nida, qui prend le relais. Le propos est aussi tranché et amer. Toujours sur Radio Med, il a préconisé hier le changement du gouvernement et a proposé des noms de dirigeants de Nida pour le poste de nouveau chef de gouvernement. Il annonce aussi l'éventualité d'une nouvelle majorité gouvernementale sans le parti Ennahdha et avec le soutien du Front populaire. Abdelmajid Sahraoui, autre dirigeant de Nida, publie quant à lui une tribune dans laquelle il annonce que la nef Nida coule. Entre-temps, Béji Caïd Essebsi, président de la République, annonce l'imminence d'un remaniement ministériel. Visiblement effarouché, Habib Essid, chef du gouvernement, riposte sur les ondes de la radio nationale. J'y suis, j'y reste, dit-il en substance et il n'y aura point de remaniement ministériel, je suis le chef, c'est mon opinion et je la partage. Prévue pour hier, la réunion du bureau politique de Nida est reportée in extremis, sine die. On apprend aussi que, sur proposition de Mohamed Ennaceur, actuel président du parti, Béji Caïd Essebsi se réunira avec la famille élargie de Nida dimanche prochain, sous couvert d'un hommage que lui rendra le parti. Les apparences constitutionnelles seraient ainsi sauvées mais le père-fondateur accourt au chevet de l'enfant malade. Pourtant, Béji Caïd Essebsi semble être, lui aussi, dans le collimateur des voix dissidentes du principal parti de la majorité gouvernementale. Akremi, Belhaj Ali et consorts voient d'un mauvais œil ce qu'ils assimilent à son emprise paternaliste sur le gouvernement de Habib Essid. Du coup, ce dernier n'aurait pas les moyens de sa politique. Ce qui n'empêche pas ses détracteurs de l'accuser de mollesse, d'attentisme et d'absence d'un grand rêve salvateur pour la Tunisie. Situation inextricable et à plusieurs variantes. Toujours est-il que la démission de Lazhar Akremi, suivie d'une véritable levée de boucliers, atteste qu'il y a bien péril en la demeure. Les gens sont fourvoyés. Ils perdent espoir. Le gouvernement fait du surplace aux abords du précipice. On nous annonce un taux de croissance négatif pour l'année 2015, et une récession cumulative pour les deux prochaines années. L'investissement stagne, les exportations reculent, le tourisme bat de l'aile, la balance des paiements est largement déficitaire. Et la politique cale dans le vide. Habib Essid ne saurait camper encore et davantage l'attitude de l'homme à l'amour-propre bafoué. Il doit monter au charbon, prendre le taureau par les cornes, rassurer la nation. L'atmosphère est étouffante, intenable. Le front intérieur se disloque, part en lambeaux. Les fonds vautours guettent. L'endettement extérieur risque de nous plonger dans le scénario grec. La politique extérieure de la Tunisie est nulle. Nous avons tout le monde ou presque sur le dos. Les responsables soutiennent une chose et son contraire. La crédibilité même de l'Etat tunisien est en jeu. Une adresse à la nation s'impose. Il faut expliquer, rassurer, proposer. L'homme d'Etat est celui qui sait, au moment opportun, s'élever à l'intelligence du moment historique. Habib Bourguiba, premier président de la République tunisienne, s'y était exercé à maintes reprises, hormis lors de ses années de vieillesse. Le gouvernement Habib Essid atteste d'un déficit flagrant en matière de gestion de crise et surtout de communication de crise. Le chef du gouvernement doit parer au plus pressé. C'est un haut commis de l'Etat, certes, mais ce n'est pas encore un homme d'Etat. Le naufrage d'un homme ne saurait signifier la déliquescence de tout un pays. Le gouvernement Habib Essid a l'étrange allure d'un bateau ivre. La Tunisie doit demeurer digne et lucide. DEMISSION DE LAZHAR AKREMI : Le contenu de la lettre nécessite « des éclaircissements »... ... selon Boujemaâ R'mili Le contenu de la lettre de démission de Lazhar Akremi relatif à la corruption nécessite «des éclaircissements» de la part du chef du gouvernement, a estimé hier un haut responsable de Nida Tounès. «Le contenu de la lettre de démission de Akremi est une question dangereuse dont les répercussions nécessitent des éclaircissements de la part du chef du gouvernement», a expliqué Boujemaa Rmili, directeur exécutif de Nida Tounès, dans une déclaration à l'agence TAP. Lundi dernier, Lazhar Akremi avait présenté sa démission qui avait été acceptée par le chef du gouvernement. Dans une déclaration à la presse, Akremi a expliqué : «J'ai essayé d'apporter le plus au sein de l'équipe gouvernementale et de lutter contre la corruption mais sans résultats». Nida Tounès maintiendra le porte-feuille qui lui revient «dans le cadre des équilibres entre les composantes de la coalition au pouvoir», a confirmé Rmili. La question de la démission n'avait pas été soumise à la réunion du bureau exécutif du parti vendredi dernier, a fait savoir Rmili qui précise qu'une nouvelle réunion aura lieu prochainement.