Copyright photo : Mourad Dachraoui La Tunisie a adopté hier loi criminalisant les atteintes racistes. Bien que certains s'obstinent à le nier, des citoyens tunisiens et des étrangers sont victimes d'attaques racistes en Tunisie. Les incidents racistes, dénoncés par les associations défendant le droit des minorités et les diversités, ont incité le Parlement à adopter la loi antiraciste dans son intégralité afin de protéger ceux qui en sont victimes.
Qu'ils soient tunisiens ou étrangers, les Noirs semblent être ceux qui sont les plus sujets aux agressions racistes. Victimes de leur couleur de peau, ils sont maltraités par ceux qui les considéraient comme inférieurs. Dans la culture tunisienne très répandue, leur couleur de peau est associée à l'esclavage. Par ignorance, le Tunisien est raciste et cela est un fait évident.
Ghofrane Binous était une hôtesse de l'air à Tunisair. Victime d'une agression verbale de la part d'une passagère à bord d'un vol de la compagnie aérienne, elle a partagé sa mésaventure sur les réseaux sociaux afin de sensibiliser sur les assauts que subit encore un Noir en 2018. Des propos racistes et des injures infâmes lui ont été adressés par la passagère lui causant beaucoup d'amertume. Cette passagère a été rapidement débarquée de l'avion et une vague de solidarité a été réservée à l'hôtesse de la part de tous les membres de l'équipage, des passagers et des internautes. Outre cet incident, une étudiante originaire du Burkina Faso a également affirmé qu'elle a été agressée dans la région du Kram par des jeunes de 18 ans. Ces jeunes lui ont jeté des œufs sur la tête tout en se moquant d'elle. Qu'il s'agisse d'un acte de racisme ou pas, cela reste une honte pour la Tunisie qui ne sait pas protéger la dignité de ses hôtes. En août, des ressortissants Ivoiriens qui ont été attaqués au centre-ville de Tunis. Ces derniers ont été impliqués dans une bagarre qui a dégénéré par la suite. Des motifs racistes derrière cet assaut n'étaient pas exclus et ont été dénoncés par l'Association tunisienne de soutien aux minorités (ATSM). Cette dernière a annoncé l'établissement d'une stratégie conjointe avec l'ambassade de la Côte d'Ivoire afin d'améliorer la prise en charge des victimes d'actes racistes.
De telles agressions perpétrées contre des individus, physiques ou verbales soient-elles, ne doivent pas être tolérées ou passer impunément. Le chef du gouvernement avait annoncé depuis le 26 décembre 2016 qu'une loi incriminant le racisme et les discriminations en tout genre sera promulguée. Cette loi sera appliquée de manière stricte et ferme, a-t-il dit, annonçant, par ailleurs, l'organisation d'une journée nationale pour combattre ce fléau. Cependant, il a fallu 2 ans, soit le 2 juin 2018, pour que la commission parlementaire des droits et des libertés approuve cette loi criminalisant ainsi la ségrégation raciale. Cette loi définit les crimes racistes, leurs sanctions ainsi que les mesures auxquels les victimes peuvent recourir. Ce n'est que le 9 octobre 2018 cependant, que la loi antiraciste a été adoptée dans son intégralité à l'Assemblée des représentants du peuple (ARP) avec 125 voix pour, 5 abstentions et 1 voix contre. Une loi qui a été qualifiée de révolutionnaire par le président de l'ARP, Mohamed Ennaceur. Pour lui, « cette loi place la Tunisie au même rang que les pays civilisés et modernes étant l'un des premiers pays dans le monde entier et le premier en Afrique à pénaliser le racisme ». 11 institutions assureront également la veille l'application de cette loi y compris une commission nationale pour la lutte contre le phénomène qui sera sous l'égide du ministère des Droits de l'Homme et qui soumettra un rapport annuel à la commission des droits et des libertés à l'ARP.
En vertu de cette loi, les victimes bénéficieront d'une protection légale selon les réglementations en vigueur, d'un encadrement psychologique et social, au cas par cas, ainsi d'une indemnisation en cohérence avec les dégâts matériels et moraux engendrés par l'agression raciale. L'agresseur écopera d'un mois à un an de prison et/ou paiera une amende de 500 à 1000 dinars ou s'il profère des propos racistes en vue de dénigrer ou humilier une personne. Cette pénalisation sera doublée notamment si la victime est un enfant, si elle est dans un état de faiblesse à cause de son âge, d'un handicap ou s'il s'agit d'un réfugié, si l'agresseur dispose d'une autorité sur la victime ou s'il use de son pouvoir. Pareil s'il s'agit d'un groupe d'agresseurs et non d'un seul individu. Une sanction d'un an jusqu'à 3 ans d'incarcération et/ou une amende de 1000 à 3 mille dinars seront également imposées à l'agresseur qui contribue à répandre un discours haineux qui sème la division sur une base raciale, qui propage des idées puisées de la ségrégation raciale ou de la suprématie, qui fait l'éloge des pratiques raciales ou encore qui forme un groupe ou une organisation soutenant le racisme et les activités ou les associations fondées dans ce sens. Par contre, s'il s'agit d'une personne morale, l'amende variera de 5 mille dinars à 15 mille dinars.
L'adoption de cette loi représente un pas géant pour la Tunisie, contribuant à l'appui des valeurs de tolérance et du respect de la diversité humaine. Elle a été accueillie très chaleureusement et saluée au parlement, auprès des organisations de lutte contre le racisme et même par la communauté internationale. Ce, alors que certains minimisent l'ampleur du racisme en Tunisie, comme la députée d'Ennahdha, Hela Hammi, et que d'autres refusent de voter pour, comme le député Yassine Ayari, cette loi est incontestablement une avancée. En tout état de cause, si elle n'éradiquera pas d'une manière définitive le racisme, elle sera en mesure d'inscrire la Tunisie dans la culture du respect de l'Autre et de la protection de sa dignité contre toute humiliation et toute atteinte. Reste aujourd'hui à appliquer ses dispositions dans les faits afin que les Noirs, tunisiens ou étrangers en Tunisie, puissent enfin être fiers de l'être !