17 décembre, 14 janvier, 20 mars, 25 juillet. Des dates, beaucoup de symbolique mais très peu de réalité. Au-delà de la symbolique, que nous reste-t-il ? Quarante minutes de discours, sept décisions, cinq mois trop tard, un an après… Beaucoup de temps perdu, et, au final, très peu de réalité. Le messie – comme le laisse penser sa symbolique – répète pourtant à qui veut l'entendre que son timing n'est pas fortuit, qu'il attendait le bon moment – et rien que le bon moment, ni avant, ni après - pour annoncer son plan. « Le moment viendra et il viendra en son temps ».
Pour atteindre ce moment, il aura fallu attendre cinq mois et il faudra aussi attendre un an. Cinq pour que la feuille de route qui aurait dû être annoncée le 25-Juillet dernier voie le jour. Pour que le chef de l'Etat s'explique enfin et annonce ce qu'il compte finalement faire de tout ce pouvoir qu'il a désormais entre les mains. Un an pour mettre fin à des mesures exceptionnelles qui, selon la loi, auraient dû durer 30 jours. Pourquoi Kaïs Saïed met-il autant de temps à mettre en œuvre un plan qu'il dit, pourtant, préparer depuis des années ?
Ce qui frappe, en effet, le plus dans les 40 – interminables - minutes du discours de Kaïs Saïed, ce ne sont ni ses menaces, ni ses allusions à un sombre « Eux », ni ses promesses. C'est plutôt sa gestion du temps. Cette brèche qui s'est ouverte le 25 juillet dernier pour contenir tous ces espoirs encore fragiles, pour sortir le pays de ce qui était connu mais mauvais, installera-t-elle un nouvel espace-temps ? Un espace dans lequel le temps serait suspendu, dans lequel tout serait inconnu et dont on ne sait toujours pas de quoi il sera fait.
Aurait-il été trop ambitieux d'attendre une feuille de route en même temps que des mesures exceptionnelles qui plongent le pays dans l'inconnu ? Un « voilà ce que j'ai décidé, voilà ce que je compte faire et voilà quand il sera fait ». Au-lieu de cela, l'omni-président qui, pourtant, dit que c'est lui qui sortira le pays des ténèbres, préfère plonger, à chacune de ses apparitions, le pays encore plus dans l'inconnu, le sombre et le terrifiant.
Depuis le 25-Juillet - nouvelle date doublement symbolique dans l'histoire nouvelle de la Tunisie – les mesures exceptionnelles ont été suivies de moult menaces, des discours clivants, de « Eux » et de « Nous », de « le peuple veut »….et de beaucoup de promesses… Pour, au final, obtenir la certitude, nette et palpable, que le chef de l'Etat ne sait pas ce qu'il fait et qu'il navigue à vue.
On lui avait prêté de très bonnes intentions – mais des méthodes foireuses – et un projet de société et un plan politique qui rompaient avec un vieux système corrompu et pourri pour sauver le pays. On lui avait pardonné sa fougue de débutant, ses erreurs de novice, sa méconnaissance des rouages politiques. On lui avait accordé du temps. On avait pourtant, et malgré les réserves et les craintes, beaucoup attendu d'un président qui qualifiait les agences de notation de "Ommek Sannefa". D'un président qui pensait réellement que 1,8 million de personnes sont venues l'acclamer dans la rue. D'un président qui pensait faire l'objet de farfelus plans d'assassinat sans suite. D'un président qui ponctuait chacune de ses apparitions de références d'un autre temps, au lieu de nous parler de l'essentiel. Et si tous les signaux étaient en face de nous et que nous refusions de les voir ? Obstinés à croire qu'il existe réellement un plan derrière tout ça. Que le président de la République sait ce qu'il fait et qu'il apportera un réel changement.
Kaïs Saïed aurait-il annoncé cette feuille de route s'il n'avait pas été contraint par les pressions internationales et une tension qui bout à l'intérieur ? Savait-il vraiment ce qu'il faisait le 25 juillet 2021 au moment où il avait mis les institutions de l'Etat en stand-by ? Et, pire encore aujourd'hui, sait-il qui organisera ces élections, comment et avec quel argent il le fera ? A-t-il prévu ce qu'il fera s'il n'obtient pas le plébiscite qu'il espère lors de la consultation nationale ? Sait-il ce qu'il fera avec les réponses qu'il obtiendra de la consultation nationale ? Sait-il avec quel argent continuera-t-il à faire fonctionner le pays ? Visiblement non.
Aux questions très simples, les réponses semblent être très simples elles aussi. Est-ce que Kaïs Saïed suivra le timing qu'il s'est lui-même fixé ? Est-ce que ces dates ont été fixées en fonction d'un schéma logistique réaliste et bien ficelé ou suivant une symbolique qui lui est chère ? Vous connaissez tous les réponses à ces questions. Saïed ne semble pas savoir où il va et où il nous mène avec lui. Il a besoin de temps, qu'il essaye de gagner en retardant l'échéance. Mais le temps est dangereux et ce temps, surtout, nous ne l'avons pas.
Nous n'avons cessé de dire haut et fort que Kaïs Saïed nous mène vers l'inconnu, dans l'espoir de le voir prendre conscience, réaliser le temps qu'il nous fait perdre, changer de trajectoire. Nous nous sommes attiré la vindicte populaire et la colère d'un peuple attaché au dernier espoir, au dernier souffle. Personne ne peut blâmer le peuple pour un peu d'optimisme. Jamais nous n'aurons eu autant raison...