Sur le coup, nul doute que tout tunisien a la larme aux yeux et le cœur resplendissant de fierté et de ravissement. Un moment de magie, une première historique, la Tunisie vient d'obtenir le « Prix Nobel de la Paix » et ce via son fameux Quartet, fines fleurs de la société civile tunisienne, composé de l'UGTT (centrale syndicale), de l'UTICA (centrale patronale), du Conseil de l'Ordre des avocats et de la Ligue tunisienne des Droits de l'Homme, pour sa « contribution décisive à l'édification d'une démocratie pluraliste en Tunisie à la suite de la révolution de jasmin en 2011« . Le Quartet a lancé « un processus politique alternatif, pacifique, à un moment où le pays était au bord de la guerre civile« , n'a pas manqué de souligner le Comité Nobel. Donc, ça c'est l'instantanée. Avec le recul, et une fois l'euphorie est dissipée, le tableau est tout autre. Le « Prix Nobel de la Paix », censé souder les tunisiens, pour sa symbolique et son message, a été vite changé en pomme de discorde. Contrairement à la Communauté Internationale qui, d'une seule voix, a rendu un poignant message à la Tunisie, une partie de l'opinion publique nationale n'a de cesse d'en faire un motif de suspicion, voire de sédition, et une occasion de tirer des boulets rouges. A entendre ou lire certains, ce Prix est sale, il rabaisse beaucoup plus qu'il n'élève, ce n'est qu'un trophée en toc. Ce n'est plus une distinction mais une insulte à l'égard de la Tunisie et son peuple. On aurait dit un poignard au dos. Il n'est que le produit de quelques sombres agendas, de magouilles politiques et de jeux de manipulation. De l'autoflagellation en règle ! On fait la fine bouche, on boude le plaisir, on jouer les rabat-joie, on crache dans la soupe. On veut, vaille que vaille, transformer les serviettes en torchons et faire un foin de tous les diables pour pas grand-chose. On sacrifie un moment de liesse populaire, aussi saisissant qu'impromptu, sur l'autel de la théorie de conspiration. Comme si le « Prix Nobel de la Paix » est une fumeuse déclaration de guerre ou une tentative de coup d'Etat que des forces obscures fomentent contre le pays. Les éternels mécontents s'en sont donné à cœur joie, s'improvisant redresseurs de tort et détenteurs de la vérité. Et quand bien même les considérations politiques et les critères dissimulés présidant le choix du Comité Nobel, le Prix n'en reste pas moins un signal fort, un édifiant témoignage reconnaissant la singularité de l'expérience démocratique tunisienne. D'ailleurs, à se demander si le « Prix Nobel de la Paix », tant décrié, est à ce point malpropre, instrumentalisé et pétri de zones d'ombre et de mobiles de combine, pourquoi tant de grandes figures mondiales et d'instances internationales, et non des moindres, se bousculent, chaque année, aux portillons pour présenter leur candidature au graal. Rien qu'à la présente session, 273 candidats ont frappé à la porte du comité Nobel (la candidature de 205 personnalités et les 68 organisations a été retenue), lequel a porté son choix sur le quatuor ayant géré, avec audace et dextérité, et mené à bon port le « Dialogue National »en Tunisie. Pourtant, parmi les favoris, figuraient, à titre illustratif,le Pape François, la chancelière allemande Angela Merkel, les victimes d'Hiroshima et Nagasaki (70ème anniversaire de l'attaque nucléaire américaine). Tant de piques que rien ne justifie tout simplement parce que ce Prix a été décerné au premier ministre sioniste Menahem Begin en 1978 et au président américain Barack Obama en 2009, qui a certes montré par la suite tout l'étendue de sa mauvaise foi et de son mauvais génie ainsi que son art consommé de mener le monde en bateau, mais ceci n'enlève rien à la signification première et à la prestigieuse portée du Prix. Pourquoi focaliser sur quelques malheureux cas et occulter alors d'autres illustres lauréats comme Nelson Mandela, Mère Teresa , Lech Wałęsa, Muhammad Yunus, Martti Ahtisaari, Desmond Mpilo Tutu, Andreï Sakharov, Martin Luther King Jr, Tenzin Gyatso ( 14ème DAili-lama) et Dag Hammarskjöld (récompense posthume), pour ne citer que les individus. Bombardé au toit de la paix internationale, cité en exemple de quête de l'idéal consensuel et en modèle de résolution des crises dans la région, le « Dialogue National », parrainé de main de maitre et porté à bout de bras par le Quartet et massivement soutenu par la classe politique, la société civile et la communauté médiatique, toutes tendances politiques ou idéologiques confondues, reste, n'en déplaise à un noyau dur de détracteurs, une réussite qui distingue la Tunisie et sa culture de modération et d'ouverture. Le prix consacre aussi et surtout le triomphe de la concertation sur la confrontation, de la course au compromis sur la chevauchée des rivalités. Bref, la victoire de l'intelligence sur l'instinct. En gratifiant le Quartet, et par extension la Tunisie, de son Prix, le Comité Nobel, investi avant tout d'une mission humaine de paix, de sécurité et de droit, adresse, partout dans le monde, notamment à l'intention de la région arabe, moult messages : Maintenant que le « Prix Nobel de la Paix » est dans l'escarcelle, il y a lieu d'insister qu'il ne s'agit pas uniquement d'une récompense mais aussi et surtout d'une responsabilité. Un Prix qu'il appartient à tous les tunisiens, non seulement les lauréats, de savoir comment capitaliser et rentabiliser. Peut-être réfléchir sur l'idée d'institutionnaliser le « Dialogue National » et lui conférer les moyens politiques d'être désormais un dispositif incontournable dans le processus de règlement des crises et autres conflits, d'ordre politique, économique et social, susceptibles, un jour ou l'autre (l'hypothèse n'est guère à écarter) d'entraver la marche de la Tunisie vers l'aboutissement de son propre modèle démocratique et vers l'optimisation de son cadre de développement socioéconomique.