Alors qu'on attendait l'établissement d'une réglementation devant garantir la neutralité des mosquées, valoriser leur fonction majeure, voire exclusive, de lieu de culte et d'enceinte d'apprentissage coranique et d'enseignement théologique et prémunir cet espace de recueillement et de prière de tout prosélytisme politique ou idéologique, le Ministère des Affaires Religieuses se fend d'un dispositif législatif vraiment à contre-courant et non moins polémique. En effet, le projet de loi sur les mosquées, quoiqu' encore à son stade préliminaire de conception et de concertation, récemment médiatisé, défraie la chronique et nourrit déjà la controverse. Par ce texte, le rôle de la mosquée est élargi, sur le fond comme sur la forme, dans la mesure où divers champs d'intervention, normalement incompatibles avec ses attributions premières, lui ont été confiés. Le cas échéant, la mosquée serait désormais le temple de l'éducation et de la formation, le gardien de l'ordre moral, le creuset de l'identité nationale, le pilier d'exécution de tout projet immobilier, le sanctuaire de cours de soutien scolaire et le parrain attitré des contrats de mariage. Certes, à l'aube de l'Islam et à travers son histoire, la mosquée avait une dimension non seulement religieuse mais également politique, sociale et culturelle. Elle était le centre de gravité de la cité et le cœur de la société. Cependant, la situation a bien évolué. Par conséquent, la promulgation d'une telle loi sera un pas en arrière, une démarche anachronique, à contre-sens de la marche de l'histoire et de l'évolution de la société. Dans ce sens que la loi en question est de nature à peser des menaces par rapport à la nature civile de l'Etat, au modèle de société et aux attributs de la citoyenneté, principes de base que les rédacteurs de la nouvelle constitution ont pleinement consolidés et sur lesquels un consensus national est définitivement établi. Compte tenu de ce qui précède, pourquoi lancer un tel conflictuel et non moins équivoque chantier en ce moment précis de crise et de blocage politique ? La volonté de mettre à profit l'impasse et le chaos du Dialogue National, dont tout le pays attend impatiemment l'issue, pour mener à bon port le projet, ne serait pas une hypothèse à écarter. Faire main basse sur les mosquées, les monopoliser, en faire un cheval de bataille et une lance de fer, pour des motifs politiques et notamment idéologiques, en vue de remodeler la société et ses structures, à défaut d'en modifier complètement les fondements. Voilà le fin mot de la manœuvre, selon certains observateurs. D'aucuns estiment que derrière ce texte se faufilent des velléités d'islamiser la société, comme si la Tunisie est une terre d'hérésie ou de conquête, en âge préislamique, et d'installer, palier par palier, l'Etat théocratique. Une instrumentalisation en règle des mosquées à cet effet. A se demander s'il y a un lien de cause à effet entre les lois sur les mosquées et sur « Hbous » ou « Awqaf » (biens de mainmorte) et l'augmentation significative du budget alloué au Ministère des Affaires Religieuses, au titre de l'année 2014 ? Ce Département, sous la conduite opaque de Noureddine Khadmi semble jouer un rôle plus grand que son mandat et son statut, donner l'impression de faire l'objet d'une excroissance douteuse et agir, sans coup férir, en tant qu'Etat dans l'Etat. En conclusion, ce projet de loi est une offensive, entre autres, pour déconstruire l'Etat moderne et étouffer son souffle temporel et séculier. Il est quand même ambigu, voire suspect, de vouloir conférer une assise multidimensionnelle aux mosquées et d'en réorganiser l'activité alors que l'édifice constitutionnel n'est pas encore achevé, coincé qu'il est dans le désordre ambiant.