C'est la vocation première de ce lieu, on semble l'oublier, voulu, imaginé et conçu par Hechmi Ghachem Bey, sur instigation de son ami de toujours : Ahmed Aloulou, restaurateur et grand collectionneur d'Art, dans l'esprit de parer la Rue de Marseille, d'un lieu de prédilection où les arts-plastiques pouvaient élire domicile, avec une formule spécifique d'encouragement et de soutien aux artistes, qu'ils soient débutants, ou déjà reconnus, et bien installés dans le métier. Nourriture terrestre et nourriture céleste... A l'image de certains cafés et restaurants mythiques de Montmartre, où se réunissaient et travaillaient dans la convivialité et l'effervescence créatrice, la fine-fleur des peintres d'une époque qui aura fait date. Et marqué l'âge d'or de la peinture ; et pas seulement dans l'Hexagone. Sauf qu'il s'est avéré difficile, depuis le départ de Hechmi Ghachem Bey, le 17 mai dernier, pour le « Grand Ailleurs », d'éviter un certain « flottement » par rapport aux activités picturales de l'Espace Bouabana, en l'absence de celui qui fut, et qui continue d'être l'âme des lieux, dans la mesure où il n'y a pas plus injuste et absurde – bête et méchant serait aussi approprié que l'adage qui stipule que « Dans la vie nul n'est irremplaçable ». Dans la vie, personne ne remplace personne et c'est justement en guise de fidélité à sa mémoire, histoire de ne pas trahir ce qu'il a toujours voulu pour cet espace où il a laissé ses dernières forces, qu'une exposition de peinture – la première qui marque l'avènement de la nouvelle année – regroupant quelque 33 tableaux, dont trois signés par Hechmi Ghachem, vient d'être inaugurée à l'Espace Bouabana, pour les Arts. Intitulée : « Atmosphères », l'exposition qui se prolongera jusqu'au 30 janvier courant, sera suivie par trois autres dans l'année, qui répondront à des thématiques différentes. Celle qui est visible actuellement sur les cimaises de « Bouabana », a pour ligne directrice, ou fil-conducteur s'il en est le thème des « peintres dans la ville », comme manière de souligner et de rappeler si besoin est que l'implication des artistes, toutes obédiences confondues, dans le quotidien des gens, comme dans la rue et intrinsèquement l'art d'une façon générale est plus qu'une nécessité. Ce serait même presque un geste de survie, car autrement la condition humaine serait bien triste, vouée à l'état « végéto-animal ». Sous la transcendance, la quête du beau et du sublime, qui fondent l'essence même de l'acte de créer, quel sens donner à la vie ? S'ils n'apportent pas de réponse à la question, les peintres qui se sont réunis pour exposer leurs œuvres à l'Espace Bouabana, n'en n'ont-ils pas moins interrogés leurs toiles respectives, chacun à sa manière, chacun à sa mesure, faisant imploser les blancs, en résonance chacun, à sa musique intérieure. Mourad Harbaoui a changé de facture, mais sa marque de fabrique s'il en est, demeure cette inexorable irruption de la lumière, dans la matière qui en devient ainsi quasi-vivante, de son œuvre. Il ne peint pas, il irradie. Un nu de Mourad Zeraï, s'il se désincarne, c'est dans un basculement de couleurs revanchardes, qui repoussent de toutes leurs forces, la tentation du vertige d'un monde qui serait terne et blafard, presque à fleur de peau. Houda Ajili est plus cérébrale et cherche l'épure, dans la forme, comme dans le fond. Mais, il y a aussi un peintre irakien – Qassar -, et sa touche sensible et nerveuse et puis d'autres encore, qui se sont joints à « Atmosphères », à l'instar de A.Ben Hamida, A.Néji et nous en passons et des meilleurs. Le détour est donc obligé, du côté de la rue de Marseille, à l'Espace Bouabana pour les Arts, afin de découvrir des œuvres, qui croisent le regard ; le nôtre en particulier. Pour ne pas oublier aussi, encore une fois, que l'âme de Hechmi Ghachem Bey continue de régner sur les lieux, et que lui, il regardait la mer. C'était son paysage intérieur, parce que tout est une question de regard. Ceux qui ont les pieds, dans la gadoue, ne peuvent pas comprendre...