Je vais aller m'endormir et j'ai honte. J'ai honte face à Sonia Dahmani. J'ai évoqué Sonia, car elle vient d'être condamnée à deux ans de prison pour un mot. Mais j'ai aussi honte face à plusieurs, Mohamed Boughalleb, Mourad Zeghidi, Ghazi Chaouachi, Issam Chebbi, Rached Tanboura, Omar Labidi, Abdessalem Zayen… ainsi que plusieurs autres qui subissent des injustices. J'ai honte parce qu'elle, eux et moi n'avons rien fait de mal au pays. Nous n'avons rien fait pour que nos intérêts priment sur ceux du peuple. Nous n'avons pas fait les catastrophes (dans les faits ou par la parole) qu'ont fait d'autres, tout en étant tranquilles pour le grand plaisir du peuple. J'ai honte parce qu'ils vont dormir dans leurs lits, parmi les leurs, ils mangent ce qu'ils veulent, ils vont où ils veulent, ils insultent qui ils veulent, ils commettent des injustices contre qui ils veulent et ils font de nous ce qu'ils veulent. J'ai honte parce qu'on nous attribue l'égalité devant la loi, alors que nous ne sommes pas égaux. J'ai honte parce qu'on nous attribue la justice de la magistrature alors qu'elle n'est pas juste. J'ai davantage honte parce que notre cher peuple n'est au courant de rien et demeure insensible devant ses concitoyens subissant des injustices et sont anéantis et détruits, ainsi que leurs familles, leurs enfants et leurs vies. J'ai honte parce que je ne peux pas changer grand-chose dans ce peuple. J'ai honte car à part le soutien de principe et le mot juste, je ne peux rien changer dans le drame qui leur arrive. J'ai honte parce que je vis au milieu d'un peuple qui se soulève quand il y a un penalty ou un carton rouge dans un match débile, mais qui se réjouit devant un innocent jeté en prison. J'ai honte parce que je vis dans un pays qui ne respecte rien de ce qui est écrit dans sa constitution. J'ai honte parce que je vis dans un pays où le kilo de sucre est plus important que la liberté d'un innocent. J'ai honte parce que la devise « Liberté, Ordre, Justice » n'a trouvé aucun descendant pour le défendre. J'ai honte face à toi Sonia. Mais je suis fier de toi. Fier de tes mots, fier de ta patience, fier de ta dignité. Qu'est-ce que je vais te dire ? Que les chaînes vont être brisées ? Que la prison est mensongère et que les vivants vont être libérés ? Hélas, les chaînes et la détention ne sont pas uniquement en prison. Les chaînes, la grande prison et le pire sont dans les esprits. Notre prison est gigantesque, bien plus grande que les murs, que la direction des prisons, que le ministère de la Justice, que les textes et que les tribunaux. Ma consolation est que ton esprit est libre dans la prison. Ma consolation est que ça ne dure jamais éternellement. Dors fière de toi ! Je vais aller m'endormir (si je peux) en ayant honte face à toi et à mon pays. Liberté à tous les innocents qu'on connait et qu'on ne connait pas !
* Nabil Hajji est secrétaire général du parti Attayar Publication à 2h10, 25 octobre 2024 Traduction, Business News