Par Khaled Guezmir Le 21ème siècle tunisien semble avoir de plus en plus la nostalgie de l'époque anté-islamique (avant l'Islam), à tous les niveaux. Les plateaux de télévision, les débats radiophoniques, la presse écrite sans exception, y compris « Le Temps » sont habités par tous ces « martiens » qui nous viennent de planètes et d'époques lointaines : Les déserts d'Arabie avec les épopées et les « razzias » chantées par les poètes des « Mouaallakat » de Echanfara » à « Kaâb Ibn Zoubeïr », en passant par « Antaratou Ibn Chaddad » et en arrivant au premier poète de l'Islam « Hassen Ibn Thabet ». Nous sommes presque en pleine fiction du genre jouée par Férid Chawki sur l'aube de l'Islam. La Tunisie de 1913, semble avoir classé « aux oubliettes » toutes ses ambitions d'avoir une petite place dans ce siècle aux côtés des nations qui aspirent au commandement présent et futur de la planète, pour renouer avec les fantasmes de Seïf El Yazal, Ali Ibn Abi Taleb et Khaled Ibn El Walid. Il faut vraiment détresser à nouveau ses vieux livres et dépoussiérer leurs pages jaunies pour se remémorer tous les faits d'armes et les conquêtes musulmanes (Foutouhat) bien embellies par la ferveur d'auteurs engagés à la cause islamique et glorifiant la grandeur de ses acteurs comme Ibn Ezzoubeïr, Okba Ibn Nafaâ ou Tarak Ibn Zied. Les apparitions d'un « cheikh » salafiste comme M. Khamis El Mejri, hier totalement inconnu, à « Attounsia » et ailleurs, sont plus nombreuses que celles du Premier ministre Ali Laârayedh lui même. C'est dire que la translation des valeurs a été suivie et sanctionnée chez notre talentueux collègue Moëz Ben Gharbia, par une translation au niveau des nouvelles « hiérarchies » de l'Etat. Oui, Monsieur Khamis Mejri et ses semblables forment désormais un Etat dans l'Etat, puisque nous sommes ramenés à l'époque, anté-islamique et que de ce fait, M. Ali Laârayedh à titre d'exemple bien que Premier ministre de son état, n'a le droit qu'à quelques minutes d'antenne ou de caméra ! Il est vrai que M.Ali Laârayedh est un homme d'Etat qui situe son action au 21ème siècle, ce qui parait en déphasage avec la réalité de notre pays aujourd'hui ! La symbolique de Kairouan et de Okba Ibn Nafaâ Cette introduction nous emmène à la symbolique de Kairouan et de Okba Ibn Nafaâ. Je renvoie mes chers lecteurs et lectrices en quête de quelques évasions et d'érudition à quelques ouvrages fondamentaux, pour mieux cerner l'imaginaire de l'époque de la conquête de « l'Ifriquiya » (la Tunisie) et après ainsi que son influence sur les acteurs d'aujourd'hui. A tout seigneur tout honneur, l'Histoire d'Ibn Al Athir, la thèse du professeur émérite Mohamed Talbi sur l'émirat aghlabite et un petit ouvrage absolument remarquable de professeur historien et homme de lettres notre ami Si Habib Jenhani de Kélibia sur l'histoire médiévale de Kairouan. Ces grands chercheurs bien que d'époques différentes nous permettent de saisir l'importance de Kairouan acquise depuis que le général Okba Ibn Nafaâ y a établi son premier fort et sa première mosquée, en disant à ses troupes : « Hadha Kaïraouanoukom » (ceci et votre caserne ou fort). La vision de ce général guerrier et stratège de grande valeur, était bien juste au regard des théoriciens des batailles décisives dans le monde. Kairouan bien qu'au milieu d'une plaine et entourée de steppes à portée d'horizon était l'endroit idéal pour consolider la conquête musulmane. Elle était à peu près à 60 kilomètres de la mer vers Sousse (Hadrumète) du temps de la Rome bizantine, et à 60 kilomètres à peu près aussi des montagnes escarpées de Oueslatiya, d'El Aâla et de Makthar et Kesra. Ceci donnait l'avantage à Kairouan et aux troupes de Okba de pouvoir préparer leur défense contre tout envahisseur venant des cités encore romanisées ou des villages berbères des montagnes. Elle permettait aussi aux conquérants d'Arabie d'avoir du bon pâturage et de l'eau. Kairouan devint ainsi la capitale d'un royaume qui avait sous tutelle l'Afrique du Nord une partie du sud de l'Espagne, de la Sicile et même de la Sardaigne. Pour revenir à nos « envahisseurs » d'aujourd'hui, Kairouan pour les jihadistes symbolise la reconquête de l'Afrique du Nord, et sa réislamisation au goût salafiste jihadiste. Elle peut à ce titre redevenir la capitale d'un nouvel empire ou d'un nouvel émirat comme celui des aghlabites, et qui sait plus pour les nostalgiques des temps de gloire et de conquêtes. Mai avant cela, il faut détruire les icônes, la culture et l'ordre ancien, entendez la « modernisation » assimilée à l'époque anté-islamique. La nébuleuse islamiste radicale rêve de « réislamiser » à sa manière le monde arabo-musulman, mais aussi de s'étendre à tous les continents dans la logique des anciennes conquêtes (Foutouhat). Mais, enter temps beaucoup d'eau a coulé sous les ponts du Nil de l'Euphrate et de la Medjerda ! Le monde arabe a une culture islamique qui a plus de 14 siècles. Donc, ce n'est plus un espace « vierge » à de nouvelles conquêtes. En plus, chaque pays a son Islam spécifique adapté et moulé dans le climat, l'environnement et les traditions qui ont été greffées par des civilisations plus anciennes que celle de l'Islam lui-même. Finalement, l'Islam ne s'est répandu en Ifriquiya et ailleurs, que lorsqu'il s'est adapté à ces cultures diverses et aux modes de vie locaux. D'où ces «chansons » d'El Jazia Al Hilalia comme celle de « Roland » en pays chrétien, ces traditions berbéro, romano-arabes, toujours vivaces dans l'Islam populiste et maraboutique, tout en couleur et tout en musique, cette musique que le « cheikh » (sic) Khamis veut nous interdire… de quel droit… ! D'où cette résistance farouche de la « Tunisianité » contre le retour à l'époque antié-islamique, au déracinement culturel intégral et à la désertification de la pensée et des mœurs. Kairouan la blanche, les couleurs paradisiaques de ses tapis, la bonne humeur de son peuple civilisé et courtois ! Kairouan, la vie grouillante de sa médina, la majesté de ses murailles, l'élégance de sa grande mosquée unique au monde ! Kairouan l'éternelle ! Oui, Kairouan n'a pas besoin du Cheikh Khamis des ténèbres… ! Parce que Kairouan c'est la lumière que Paul Klee a immortalisée dans ses tableaux de peinture pour l'éternité ! Kairouan… vivra !