Raouf KHALSI - Nous attendions ce jour et nous craignions ce moment : comment demander pardon à Bourguiba ; quelles justifications à notre indolence durant 23 ans où le leader a été d'abord enterré vivant, ensuite enterré mort ! Voilà que ses yeux bleus retrouvent leur éclat mythique ; voilà que le Père de la Nation revient au panthéon de la Mémoire collective et aujourd'hui, il sentira, oui il sentira que la fête et la communion sont encore de ce monde. Trop facile de se revendiquer de la mémoire du leader ; trop facile de chercher à la récupérer en ces moments où la Révolution n'a pas de leader ; illusoire aussi que de chercher à trouver ce leader en Bourguiba. Sans doute, cette Révolution faite par les jeunes tous instruits, est aussi, quelque part, la sienne. Il avait en effet misé sur l'enseignement, en faisant le credo et même l'idéologie sociale par excellence du jeune Etat après l'indépendance. Et même si Ben Ali a banalisé l'excellence au nom de la massification de l'enseignement – pour mieux le privatiser en fait – la dimension bourguibienne de l'enseignement aura infléchi le cours de l'Histoire. Naturellement, on ne pourra pas dire que Bourguiba était un démocrate. C'était, et tout le monde en convient, un dictateur éclairé. Aurait-il néanmoins lâché du lest démocratique avant le naufrage de l'âge, Ben Ali n'aurait pas été possible. Il n'empêche c'est quand même l'histoire de la Tunisie qui s'est déployée de manière dialectique selon la vision de Marx. Le tragique et le comique, en somme… Et aujourd'hui, en pleine effervescence révolutionnaire, Habib Bourguiba, « Ezzaïm », le Combattant Suprême pourra être fier de sa Tunisie. Peut-être même qu'il rectifiera le tir… Il voit bien que la Tunisie n'est pas « cette poussière d'individus »… Et il voit surtout qu'il demeure, malgré tous ses errements, malgré toutes ses erreurs, le refuge et la source. Et, surtout, la source.