Montazer Al Zaïdi est le nouvel héros d'un monde arabe désormais dépourvu de repères et comme frappé d'amnésie. Voilà que notre héros vient enrichir l'industrie de la maroquinerie, qu'il venge les Irakiens et stimule même l'imagerie (déjà bridée et prédisposée) des Arabes. On le voit déjà leader; futur rassembleur du peuple irakien et pourquoi pas! un nouveau Saladin brandissant ses chaussures à la pointe de son sabre. Des leaders arabes s'apprêtent à l'accueillir en héros et de dérouler le tapis rouge qu'il foulera -symbolique oblige - de ces mêmes chaussures lancées vers le président américain. Montazer Al Zaïdi a certes accompli un acte de courage. Mais plutôt un genre de courage trompeur, fichu par ce qu'il finira dans les annales des pitreries, des amusantes anecdotes, sans influence réelle sur le cours des choses et de la tragédie irakienne. Rien à dire, bien sûr, sur ce côté inédit de chaussures qui volent vers la tronche d'un président vomi par la planète tout entière. Car jusque là nous avions l'habitude des entartages. Il reste néanmoins que l'histoire en retiendra, comme elle seule sait le faire, deux aspects. Le premier, comique car c'est effectivement comique. Le deuxième tragique car en l'occurrence, le monde arabe s'invente un mythe nouveau, un mythe qui n'a rien de fondateur, d'ailleurs comme tous ceux qui ont sonné le glas de sa déchéance. Entre temps, Cendrillon continue, depuis la nuit des temps, à perdre sa chaussure à minuit. Voilà comment se créent les mythes !