Une journée pas comme les autres, hier, au palais du Bardo où les membres de l'Assemblée nationale constituante ont été conviés à une séance plénière au cours de laquelle ils avaient à examiner plusieurs projets de loi dont le plus important est celui relatif à la révocation, sur initiative du président de la République, de Mustapha Kamel Nabli, gouverneur de la Banque centrale de Tunisie. Comment les constituants ont-ils réagi à la demande de révocation du gouverneur de la BCT qui devait être suivie, selon l'ordre du jour de la séance plénière, de la nomination d'un nouveau gouverneur? Considèrent-ils que la séance plénière d'hier est illégale et caduque dans la mesure où elle n'a pas été convoquée par la présidence de la constituante dans les délais légaux, soit le 12 juillet 2012 en prenant en considération le fait que le président Marzouki a saisi l'ANC le 27 juin dernier, à ses dires et que la Constituante avait un délai maximum de 15 jours pour soumettre la décision présidentielle à l'approbation des constituants comme le stipule la petite Constitution? Communication à sens unique Naceur Brahim, membre du bureau exécutif du mouvement Wafa (branche dissidente du CPR), estime que «la révocation doit être suivie de la désignation d'un nouveau gouverneur à la tête de la Banque centrale dans la mesure où la fonction est essentielle pour la marche des affaires économiques du pays. Avant la plénière, nous les constituants de la nation, n'avons pas été informés ni des raisons de la révocation de Nabli ni de celles de la désignation de son successeur. En cela, les constituants sont traités comme le commun des citoyens alors qu'il fallait nous soumettre le dossier avant la séance plénière pour mûrir les positions des uns et des autres». Pour ce qui est de l'expiration du délai légal (12 juillet) de l'examen de la décision républicaine signée par le président Marzouki et appelant l'ANC à adopter la révocation du gouverneur de la Banque centrale, le constituant du mouvement Wafa souligne : «C'est un autre maillon de la chaîne des dérives commises par le gouvernement et le bureau de l'ANC. Ce qui dénote une dérision envers la Constituante en tant qu'institution originelle, la seule légitime dans le pays. Sans prétendre rentrer dans des considérations à caractère juridique, je déplore qu'un dossier aussi important soit traité avec autant de légèreté. Il aurait fallu que le dossier aussi soit présenté à la plénière dans les délais légaux afin d'éviter les interprétations et les sous entendus liés à la tenue du congrès du mouvement Ennahdha. Au-delà de ces considérations et procédures, la position du mouvement Wafa comporte les trois aspects suivants : d'abord, assurer l'autonomie de la BCT à l'égard de tous les pouvoirs et ne pas réduire la Banque à son gouverneur mais traiter avec l'ensemble de son directoire, ensuite revoir la politique monétaire du pays dans le but de l'adapter aux exigences de la révolution. Enfin nous considérons que la révocation ou le maintien de Mustapha Kamel Nabli est une question secondaire malgré les doutes qui planent sur les rapports du gouverneur de la BCT avec le régime déchu. C'est pour ces raisons que nous avons choisi de nous abstenir lors du vote». Le délai a-t-il été dépassé Néjib Hosni, constituant indépendant, se livre à une analyse juridique concernant la révocation du gouverneur de la Banque centrale, à la lumière de la loi d'organisation provisoire des pouvoirs. Il précise notamment : «Les dispositions de cette loi provisoire stipulent que la désignation ou la révocation du gouverneur de la Banque centrale ne peuvent être exécutoires qu'après approbation de la Constituante. Pressé par le temps, on a prévu un seul article qui n'a pas énoncé en détail les prérogatives de l'ANC, surtout pour ce qui est de savoir les motifs de la nomination ou de la révocation. Il revient donc à la Constituante de le demander en séance plénière. De plus, le texte ne précise pas quelle est l'autorité qui doit répondre à l'Assemblée (le chef du gouvernement ou le ministre des Finances). Nous n'avons pas été informés des motifs de la révocation. Tout comme, on n'a pas reçu une copie de la décision républicaine pour savoir si le délai des 15 jours a été respecté ou non. Cette décision devait être soumise aux constituants bien avant la séance plénière». Le tribunal administratif peut être saisi par Nabli Le doyen Fadhel Moussa, président de la commission constituante du pouvoir juridique, administratif, financier et constitutionnel, relève «l'absence de motivation de la décision de révocation du gouverneur de la Banque centrale. Pour un poste aussi important, il faut savoir pourquoi le gouverneur a été démis de ses fonctions. Si les constituants ne disposent pas des éléments qu'il faut à propos de la révocation, ils ne peuvent pas se prononcer pour ou contre la décision prise par le président de la République. C'est pour cette raison que nous demandons que Mustapha Kamel Nabli soit auditionné en séance plénière et que le gouvernement fournisse, lui aussi, ses motifs. Quant au respect des délais, il paraît aux dires de la présidence de l'ANC que la demande de saisine est parvenue le 4 juillet 2012. Toutefois, rien n'empêche Mustapha Kamel Nabli de recourir au Tribunal administratif, au cas où une violation des procédures serait établie». De son côté, Mohamed Brahmi, secrétaire général du parti Achaâb, est convaincu que «les motifs de la révocation du gouverneur de la Banque centrale devaient être mentionnés dans un rapport écrit et soumis aux constituants bien avant la séance plénière. D'autre part, souligne-t-il encore, M. Nabli doit être écouté par les constituants et proposer sa version des faits, l'objectif étant qu'on soit au fait des réalités afin de pouvoir se faire une opinion». «Pour ce qui est du délai, nous n'avons pas été informés par le président de l'ANC de la date d'arrivée de la décision présidentielle, au bureau de la Constituante. De toute façon, je pense qu'il aurait fallu consacrer une séance entière à la question de la révocation de M. Nabli. Idem pour l'instance provisoire de la magistrature qui mérite, elle aussi, qu'on lui réserve une séance plénière».