Par Abdelhamid Gmati On ne peut faire l'impasse, aussi promptement, sur ce qui s'est passé cette dernière semaine dans notre beau pays, si pacifique et si étranger aux actes extrêmes. La violence qui s'est abattue sur plusieurs régions et localités, brûlant et détruisant des locaux administratifs, faisant des blessés et un mort, a traumatisé les Tunisiens. Des questions s'imposaient et des réponses ont été avancées, mais aucune n'a entièrement convaincu et le doute subsiste toujours, avec la crainte que cela recommence en plus grave. Quelle a été la ou les causes de ces évènements ? Qui en est responsable ? Qui les a déclenchés ou commandités ? A qui profitent-ils ? - Dès le début, on a pointé du doigt une manifestation picturale, « Le Printemps des arts », qui en est à sa 10e édition, accusée d'avoir abrité des tableaux portant atteinte «aux symboles sacrés de l'Islam». Il a été démontré qu'aucune des œuvres exposées ne touchait au sacré. Celles qui avaient été montrées sur les réseaux sociaux et créé l'indignation ne figuraient pas dans l'exposition. Une manipulation, donc. Certes, trois toiles exposées n'ont pas plu mais elles tournaient en dérision les salafistes et leurs convictions. Un imam salafiste l'a reconnu. Il faudra donc qu'on fasse attention car visiblement les salafistes font partie du «sacré» et les critiquer équivaut à un blasphème et à une condamnation à mort. Les gens au pouvoir (ministres, constituants, présidence de la République) ont tous condamné les artistes, sans nuance, et les ont traités de tous les noms. N'insistons pas trop sur l'attitude du ministre de la Culture, un ex-nahdhaoui (ex? « Intégriste un jour, intégriste toujours ») qui, depuis sa nomination, ne fait qu'être aux ordres de ceux qui lui ont offert le poste et qui veut fermer le lieu de l'exposition et porter plainte contre les organisateurs. Les nahdhaouis à la Constituante (dont plusieurs membres pratiquent surtout l'absentéisme) se sont empressés de vouloir proposer une loi pénalisant « l'atteinte au sacré ». Attention donc : critiquer le gouvernement serait blasphématoire. L'un des leaders islamistes l'a affirmé. Le but de cette manipulation est donc clair : éliminer les artistes et tous les hommes (et femmes) de culture. Haro sur l'intelligence, la liberté et la création ! - Les mêmes au pouvoir, plus le chef du mouvement Ennahdha, ont aussi incriminé la gauche, les modernistes laïques et les ex-rcdéistes coupables d'avoir fomenté les événements. Il est clair que ceci ne tient pas debout. La flambée de violence a été déclenchée en même temps dans plusieurs régions du pays. Cela requiert des moyens et une logistique importants que les groupuscules incriminés ne possèdent pas. Seuls ceux qui disposent de moyens matériels et financiers et ont accès à une logistique puissante et rodée, comme celle dont dispose l'Etat, peuvent réussir cette action d'envergure. Et puis les slogans martelés par les auteurs de la violence, comme motif de leur colère, étaient les mêmes et faisaient référence au «sacré». Les gens de Zarzis ou de Jendouba ont-ils vu les œuvres incriminées ? Il est clair qu'ils étaient téléguidés et les groupes «culpabilisés» n'ont jamais évoqué le sacré. Alors pourquoi? D'abord pour les discréditer auprès de l'opinion publique. Ensuite, et le porte-parole de la Présidence de la République y a fait référence, pour faire accepter un projet de loi proposé par le CPR visant à éliminer les ex-rcdéistes de la vie politique. «Les violences sont une réponse politique de quelques symboles de l'ancien régime financés par de l'argent sale du fassed, mus par la peur de l'action qu'entreprend le gouvernement pour les juger et par réaction de refus à ce que discute la Constituante, pour les exclure de la prochaine étape». C.Q.F.D. (Ce qu'il fallait démontrer). Il a suffi que les nahdhaouis et les salafistes se calment et annulent leurs manifestations prévues pour vendredi dernier, pour que le calme revienne dans tout le pays. But de la manœuvre : exclure des adversaires politiques. En réalité, l'objectif final a été révélé depuis des mois : changer la société tunisienne. On commence donc par éliminer tout ce qui a fait la personnalité du Tunisien. Pour les islamistes, rien de bon n'a existé avant eux. Adnène Mansar, porte-parole du Président de la République, vient d'émettre le vœu d'adopter une loi interdisant «toute glorification du passé». Le texte du préambule de la future Constitution fait référence à l'histoire de la Tunisie, à l'apport arabo- musulman, mais ignore la période post-indépendance. Le passé proche de la Tunisie est-il si négatif et si mauvais ? Le dernier communiqué des trois présidences parle d'une Tunisie «qui est devenue un Etat qui a un peuple et un peuple qui a un Etat». Qu'était-elle avant la Révolution à laquelle aucun des trois présidents ni aucun de leurs partis n'a participé ni de près ni de loin. Bref, les islamistes veulent nous doter d'une « Renaissance ». En fait, il s'agirait d'une Naissance avec une société faite sur mesure. Nous n'avons donc pas existé jusqu'ici. Et comme l'a soutenu l'un de leurs prédicateurs, «ceux qui ne sont pas d'accord n'ont qu'à quitter le pays».