Par Abdelhamid Gmati Il fait bon vivre en Tunisie, surtout depuis quelques mois et...malgré les apparences. Certes, on a connu un grand nombre d'actes de violence, d'agressions verbales et physiques, d'atteintes au drapeau, aux facultés et autres établissements publics, y compris ceux des forces de sécurité. La majorité étaient imputés à ce groupe de salafistes, hier quelques dizaines et devenus depuis quelques milliers (par quel miracle ?). Mais nos dirigeants, soucieux de notre quiétude et de notre bonne réputation à l'étranger (tourisme et investissements obligent), nous tranquillisaient jusqu'à il y a quelques jours : «C'est normal qu'il y ait de la violence dans un pays en Révolution...Les salafistes sont nos enfants... Ce ne sont pas des extraterrestres... ». Et puis on promettait de faire appliquer la loi. Et on promettait des projets de développement, des mesures de création d'emplois, de lutte contre la pauvreté, contre la corruption. On ne s'ennuyait pas, chaque semaine nous proposant un sujet de discussions et de palabres. Il y a deux semaines, on débattait du taux de croissance de notre économie, forcément positif pour nous permettre de bien vivre. La semaine passée, on nous a occupés avec l'affaire des ex-responsables de Tunisair, accusés d'avoir permis à une proche de l'ex-président de percevoir un salaire sans travailler. Il faisait encore bon vivre puisqu'on avait une belle illustration de lutte contre la corruption. En même temps, les nominations dans les administrations de gens proches du parti au pouvoir se poursuivent dans la discrétion, les constituants perçoivent les augmentations et les avantages qu'ils se sont octroyés, tranquillement, les ministres se baladent à l'étranger aux frais de la princesse, les trois présidents provisoires commandent des interviews de complaisance, et tout baigne... Puis...paf ! L'affaire du baccalauréat (fuite de sujet), une exposition de peintures, une déclaration d'un chef terroriste et la flambée de violence autour de la capitale et dans plusieurs régions du pays. Du coup, on ne s'amuse plus. Et pour cause : des postes de police, de la garde nationale, un tribunal, des sièges de l'UGTT, de partis politiques incendiés ou saccagés, des actes de violence et de terreur à travers plusieurs régions, 165 arrestations et 65 agents de sécurité blessés, dont certains dans un état grave. Des ministres répondent aux questions des journalistes, le ministre de l'Intérieur dresse un bilan des événements devant la Constituante qui y consacre toute une session. On parle, on essaie de comprendre, on cherche des responsables ou des boucs émissaires et on fait des promesses. Et il y a plusieurs questions qui se posent sans trouver de réponses satisfaisantes. Pourquoi ce déclenchement de violence d'une telle ampleur, dans plusieurs régions et en même temps ? Bien entendu, chacun avance les réponses qui lui conviennent. Les islamistes, adoptant les slogans salafistes, dénoncent l'atteinte aux valeurs sacrées identifiées dans quelques tableaux de l'exposition « Le Printemps des Arts ». L'inénarrable Sahbi Atig, président du groupe parlementaire, affirme que «les actes de vandalisme sont soit une mauvaise réaction aux provocations des extrémistes laïcs, soit une volonté de destruction visant l'atteinte à la légitimité de l'Etat». Et on pointe du doigt les artistes et les organisateurs qui seront traînés en justice pour répondre à cette agression contre la religion. Mais on ne prend pas en considération le fait que plusieurs des tableaux affichés sur les réseaux sociaux ne figuraient pas à l'exposition et que les événements n'ont été déclenchés que le dernier jour de l'exposition. Une belle occasion pour introduire la censure et museler les artistes dont certains ne veulent pas. On passera rapidement sur l'annonce du chef d'Al Qaïda appelant à une révolte islamiste et dénonçant le parti Ennahdha accusé de ne pas imposer la charia . Et on n'évoque même pas le chef salafiste Abou Ayoub qui appelle à un «soulèvement populaire islamiste» ce vendredi 15 juin ; et on feint d'ignorer les déclarations publiques de Ridha Belhaj assurant que «le vendredi (15 juin) il y aura une réaction populaire dans tout le pays». Le ministre de l'Intérieur estime quant à lui qu'il y aura d'autres actes de violence dans les jours à venir. Il donne aussi son avis sur les auteurs de cette violence ; pour une fois, il incrimine directement des groupes salafistes et des délinquants et il est l'un des rares à dire que ces actes seraient probablement la conséquence des déclarations du chef d'Al Qaïda. On nous promet que le nécessaire sera fait pour assurer la sécurité. Comment ? En usant de tous les moyens légaux. D'aucuns disent que cela a été déjà dit, à plusieurs reprises. Mais il n'y a pas de raison de ne pas y croire. Car ne l'oublions pas : «Il fait bon vivre en Tunisie». Même avec les salafistes et la horde de délinquants professionnels ?