Par Soufiane BEN FARHAT L'appel lancé avant-hier par vingt-et-un économistes de renommée mondiale aux dirigeants du G8 est édifiant. Positivement s'entend. Il cadre la Révolution tunisienne dans sa vocation planétaire. Des extraits en disent long là-dessus : "Avec sa révolution non violente, le peuple tunisien a lancé un profond mouvement démocratique dans le monde arabe qui pourrait bien remodeler la zone méditerranéenne et l'Union européenne. Il est essentiel que les pays membres du G8 saisissent toute l'importance de cet événement et fassent le nécessaire pour que la Tunisie puisse être et demeurer l'exemple en matière de changement social, économique et démocratique pour l'ensemble de la région et au-delà. Pour parachever sa révolution, le peuple tunisien s'est engagé avec détermination dans la construction d'un Etat démocratique fondé sur des institutions pérennes. La transition démocratique est en marche. De nombreux pays de la région ont toute leur attention focalisée sur la Tunisie et un échec de sa transition démocratique serait une victoire pour toutes les dictatures de la région et une sévère défaite pour la démocratie… La Tunisie est le leader de la transition démocratique arabe. Le statut, exceptionnel pour le monde arabe, qu'y a acquis la femme est un grand facteur d'espoir. Sa petite taille en fait un parfait laboratoire de la démocratie. Elle nous offre l'occasion unique de prouver que la démocratie peut suivre un développement harmonieux dans la région". Pris dans le rouleau compresseur de l'actualité brûlante, avec ses rebondissements et ses volte-face, ses hauts et ses bas, nous perdons par moments le recul nécessaire. Celui-là même qui nous autorise à juger cette révolution à sa juste valeur et à l'aune de sa vocation fondamentale. Une révolution qui initie un intervalle ouvert de changements démocratiques, à large échelle et dans la durée. En fait, l'histoire agit par cycles. Et notre révolution a l'insigne honneur d'initier visiblement un nouveau cycle porteur. Souvenons-nous. Le soulèvement portugais du 25 avril 1974 avait marqué le début d'une vague démocratique mondiale. En une quinzaine d'années, une trentaine de pays à régime autoritaire passèrent à la démocratie tandis qu'une vingtaine d'autres pays furent touchés d'une manière ou d'une autre par la lame de fond démocratique. En gros, cela alla du coup d'Etat de Lisbonne à la chute du Mur de Berlin, avec les conséquences qui s'ensuivirent. Aujourd'hui, la Révolution tunisienne semble annonciatrice de nouveaux chamboulements dans les pays arabes, le pourtour méditerranéen et l'Europe méridionale. L'appel des vingt-et-un économistes de renommée mondiale le souligne. Parmi eux se trouve précisément le prix Nobel d'économie 2001, Joseph Stiglitz. C'est dire s'il s'agit d'un appel révélateur. Il désigne justement l'incommensurable capital sympathie dont bénéficie la Tunisie désormais auprès des élites internationales et au sein de larges fronts de l'opinion mondiale. Il va sans dire que ledit capital n'est guère éternel. Il se dissipe dès lors qu'on s'avise de le mettre à mal d'une manière ou d'une autre. Ici comme ailleurs, la contre-révolution est aux aguets. Et le propre des transitions démocratiques est de courir le risque par moments des sombres desseins qui se trament à leur insu et à leur encontre. Il ne faut guère être devin pour le savoir. Ou du moins le supposer. Les transitions constituent, par essence, un état intermédiaire et précaire. Elles réussissent ou basculent. La nôtre est une espèce de synthèse. Elle est aux prises tant avec les ultraréactionnaires d'antan qu'avec les démocrates excessifs d'aujourd'hui. Les deux catégories se rejoignent, par-delà leurs passes d'armes verbales et autres logomachies phraséologiques. Finalement, il est demandé aux grands argentiers du G8 de prêter main-forte à la Tunisie. Parce que, comme l'instruit si bien l'appel des Vingt-et-un, la Révolution n'a certes pas de prix, mais elle a un coût. On ne saurait le considérer sous le label des pertes et profits.