Par Jawed Zouari* Récemment, le renforcement de la coopération sécuritaire entre les Etats-Unis (EU) et la Tunisie a suscité beaucoup de spéculation dans certains medias écrits et électroniques au sujet de l'intention des Américains d'installer des bases militaires dans le Sud et le Cap-Bon tunisiens. Ces spéculations ne sont pas, toutefois, basées sur des sources officielles ou des investigations journalistiques sérieuses. Pourtant, les propos du directeur des Affaires Publiques de l'Africain Command (Africom) ont été sans équivoques : à part notre base au Camp Lemonnier à Djibouti, nous n'avons pas de bases militaires en Afrique, et nous n'avons pas non plus de plans pour établir aucune autre. Néanmoins, il admet que les EU ont des aménagements militaires temporaires dans d'autres pays africains spécialisés dans des activités spécifiques avec un petit nombre de personnel. Mais en ce qui concerne la Tunisie, aucune source officielle américaine n'a confirmé l'intention d'établir une base militaire en Tunisie. Cependant, l'armée tunisienne a participé en mars 2015 aux exercices du programme Flintlock, au Tchad. Ce programme inclut plus de 20 pays africains et européens, et les exercices sont effectués chaque année dans un pays africain différent, y compris la Tunisie. Le quartier général de l'Africom est actuellement dans la ville allemande de Stuttgart, mais les EU cherchent en ce moment un nouveau siège dans une capitale, d'un pays africain moderne et de préférence démocratique. Il y a quelques spécialistes dans les affaires étrangères et militaires américaines qui pensent que Tunis est parmi la liste des villes suggérées au Pentagone par Africom. Malgré les malentendus qui nourrissent les scénarios de conspiration les plus extravagants au sujet des intentions des EU envers la Tunisie, à notre avis la réalité est différente. Jusqu'à présent, les EU ont manifesté un soutien remarquable pour aider la Tunisie à assurer sa sécurité. L'administration Obama a également promis un soutien économique important pour la Tunisie pour aider à assurer la reprise économique, lutter contre la corruption et améliorer la capacité du pays à lutter contre le terrorisme. La récurrence des attaques terroristes contre les forces de sécurité et l'armée tunisienne, et l'expansion de ces attaques vers les centres urbains, culturels et touristiques, requièrent, à notre avis, une coopération sécuritaire accrue avec les Etats-Unis, le pays le plus équipé et le plus avancé dans la lutte contre le terrorisme international. Les derniers événements ont révélé le manque d'expérience de la Tunisie dans la lutte anti-terroriste. Ses forces de sécurité n'étaient pas suffisamment préparées pour faire face au défi terroriste qui est devenu de plus en plus dévastateur, mondialisé et menaçant depuis 2011. En effet, Il s'est avéré, durant et après le gouvernement de la Troïka que ni l'armée, ni les forces de sécurité n'étaient suffisamment entraînées pour pouvoir contrer efficacement le danger du terrorisme à l'échelle locale ou régionale qui menaçait la Tunisie. L'appareil de sécurité n'a pas réussi en fait à prévenir et à empêcher les assassinats politiques, ni à assurer la défense des frontières contre les infiltrations de personnes armées ni à empêcher non plus la contrebande d'armes et de biens de consommation. Outre ce manque d'expérience, les forces de l'ordre tunisiennes manquent également de ressources humaines qualifiées, d'équipements et d'entraînements adéquats, ainsi que de ressources matérielles pour remporter la guerre contre des groupes terroristes locaux et régionaux, extrêmement mobiles et déterminés à déstabiliser le pays et à faire avorter sa transition démocratique. La forme prise en ce moment par le terrorisme international fait qu'aujourd'hui aucun pays, quelque soit sa puissance militaire et/ou économique, n'est capable de l'affronter et de le neutraliser tout seul. Depuis l'attaque terroriste de septembre 2001, les EU ont mené une lutte acharnée contre le terrorisme. Mais malgré son statut de première superpuissance mondiale, ils n'ont pas réussi à avoir raison de cette menace transnationale. Lutter, efficacement, contre le terrorisme nécessite donc une coopération sécuritaire accrue sur le plan régional et international. Les EU considèrent la Tunisie comme un partenaire régional clé dans la lutte anti-terroriste. Depuis 2011, le gouvernement américain a mis à la disposition du gouvernement tunisien une somme de $225 million pour soutenir sa capacité de contrer les menaces terroristes internes et régionales. Suite à cette coopération et eu égard aux valeurs partagées, et les réalisations démocratiques accomplies par la Tunisie, l'administration Obama a élevé la Tunisie au statut d'allié majeur hors de l'Otan. La Tunisie rejoint, ainsi, quatorze autres pays alliés majeurs hors-Otan des EU. Ces alliés incluent cinq pays arabes, Maroc, Jordanie, Egypte, Koweït et Bahreïn. Contrairement aux interprétations erronées faites par certains ce statut n'exige aucun engagement sécuritaire de la part de la Tunisie. En fait, il permet simplement à la Tunisie d'avoir un accès plus large aux dispositifs d'entraînement et de mise à niveau des troupes, un accès plus facile aux prêts pour l'acquisition d'équipements destinés à la recherche/développement et d'achat d'armes de défense. Depuis 2011, les EU ont fourni $100 million en assistance sécuritaire pour la construction de la capacité du ministère de la Défense nationale et pour la coopération anti-terrorisme. Les EU misent aussi sur le rôle de la Tunisie dans la stabilisation et la pacification de la Libye en assumant un rôle actif dans la réconciliation et le dialogue national dans ce pays voisin. Les EU ont déjà entraîné et équipé l'armée tunisienne pour améliorer ses capacités de surveillance, sa mobilité, et la sécurité de ses frontières. Pour renforcer les capacités militaires tunisiennes, l'administration Obama a demandé récemment au Congrès d'augmenter de 50% le financement militaire externe octroyé à la Tunisie. En plus de cette assistance financière, le programme américain de ventes militaires à l'étranger a facilité l'achat par la Tunisie de huit hélicoptères UH-60M Black Hawk pour améliorer les capacités défensives de l'armée tunisienne, dissuader les menaces régionales, et soutenir les opérations anti-terroristes. Les EU ont aussi aidé le gouvernement tunisien à créer un centre de fusion anti-terroriste (Counterterrorism Fusion Center). D'autres programmes sont prévus pour l'amélioration des pratiques anti-terroristes au sein du secteur de la Justice criminelle tunisienne. L'un des principaux objectifs de cette assistance sécuritaire est d'aider à construire les capacités opérationnelles des ministères de l'Intérieur et de la Justice afin de moderniser leurs structures. Depuis 2011, l'assistance sécuritaire américaine à la Tunisie a dépassé $50 million pour des programmes de partenariat avec ces deux ministères. En ce qui concerne le ministère de l'Intérieur, le travail nécessaire pour sa modernisation et l'amélioration de la qualité professionnelle de son personnel a touché les domaines qui concernent la gestion et le contrôle des ressources humaines et financières ainsi que le matériel et l'équipement dont disposent ses fonctionnaires et ses agents. Habitués, sous le régime de Ben Ali, aux méthodes policières violentes et expéditives pour asseoir à tout prix l'ordre et la sécurité, et peu sensibles aux changements politiques sismiques provoqués par la révolution de 2011, les forces de sécurité tunisiennes continuent à résister à l'application des réformes visant à instaurer une police républicaine au service d'un Etat de droit (Rule of Law). Ils ne cessent d'arguer que le changement de méthodes et le respect des droits des suspects d'actions terroristes, lors de la conduite des interrogatoires, réduisent leur capacité de contrecarrer la menace terroriste. Néanmoins et malgré leur engagement du côté de la Tunisie, les EU continuent à faire face dans ses relations avec ses partenaires tunisiens à des difficultés dont notamment la réticence de l'armée tunisienne à partager équipement militaire et informations qu'ils leur fournissent avec les autres forces de sécurité tunisiennes, en l'occurrence la police et la garde nationale. Ce manque de coordination entre les forces de sécurité nationale a sévèrement entravé les efforts des américains à assister la Tunisie dans sa lutte contre le terrorisme et la sécurisation de ses frontières avec la Libye et l'Algérie. Pour que la Tunisie réussisse dans sa lutte contre le terrorisme et assurer sa sécurité et sa prospérité, dans une région de plus en plus instable et dangereuse, il est vital que le gouvernement tunisien continue sa coopération sécuritaire et militaire avec les EU. Le monde a changé depuis la chute de l'Union soviétique, et il continue à changer après les révolutions des peuples arabes. La Tunisie, qui est le seul pays arabe à avoir réussi sa transition démocratique, n'a rien à craindre de ce que certains politiciens décrivent comme un danger de l'hégémonie américaine, danger souvent imaginé plutôt que réel, sur la région du Maghreb. Rappelons à ce titre que depuis la Seconde Guerre mondiale, aucun pays démocratique n'a recouru à la force contre un autre pays démocratique en vue de le soumettre. Tant que la Tunisie poursuit son travail de consolidation démocratique et engage les réformes administratives et économiques susceptibles de la mettre sur le chemin de la croissance et de la prospérité,elle pourra toujours compter sur la coopération et le soutien des EU et du monde libre dans tous les domaines, et en particulier sécuritaires et économiques. En fait, le renforcement de la coopération économique entre la Tunisie et les EU a commencé il y a plus de quatre ans. Depuis la Révolution de janvier 2011, les EU ont fourni à la Tunisie un soutien financier total de presque $700 million. Ce volet important de la coopération économique entre la Tunisie et les EU sera traité prochainement dans un deuxième article. (Ph D., Professeur de sciences politiques, Etats-Unis)