A l'actualité cette semaine, l'élection de Donald Trump à la tête du monde dit libre, les débats parlementaires autour de la Loi de finances 2017, le procès houleux du martyr Lotfi Naguedh et le voyage officiel de Youssef Chahed à Paris. Après le Royaume-Uni et le Brexit, voilà donc les Etats-Unis qui annoncent leur préférence à l'option de l'antisystème. D'autres pays suivront, à commencer par la France où l'on devrait s'attendre, pour la présidentielle de mai 2017, à une finale entre Marine Le Pen et Nicolas Sarkozy. Les sondeurs ne sont pas d'accord avec ce pronostic, mais ces sondeurs occidentaux ont tout faux ces derniers temps. Notre infaillible Hassen Zargouni national pourrait leur dispenser quelques leçons.
Ce rejet de la population des candidats « bien pensants » du système, aux chouchous des médias et des lobbys devrait inciter tous les politiques à réviser leurs fondamentaux, à s'approcher davantage de la rue et à être plus attentifs aux doléances des villages lointains.
Charité bien ordonnée commençant par soi-même, nous devrions en Tunisie, nous aussi, surveiller les populistes qui font de la politique. Nous avons eu droit à Marzouki pendant trois ans, le pays ne peut plus risquer la même expérience en pire. Si Donald Trump a réussi, c'est que Hachemi Hamdi ou Bahri Jelassi le peuvent aussi. Force est de constater que nous sommes en train de baliser la route pour l'élection d'un candidat populiste similaire… Peut-être pas l'un de ces deux guignols, mais que l'on ne s'étonne pas de voir Samia Abbou ou Imed Daïmi occuper, sous peu, la tête des sondages.
Au parlement, on est en train de discuter la Loi de finances 2017. Deux textes font la polémique, celui relatif à l'imposition des avocats et celui relatif à la levée du secret bancaire. Pour le premier, une solution saine et juste est en voie d'être trouvée. Les avocats devraient avoir, tous, un matricule fiscal ce qui permettra désormais de les placer, comme tout le monde, sous le régime réel. On ne leur demande pas plus. Pour le second texte, la commission parlementaire a déjà rejeté la proposition du gouvernement consistant à autoriser les fonctionnaires de l'administration fiscale à accéder directement aux comptes bancaires des contribuables faisant l'objet d'un examen approfondi de leurs états financiers. Derrière le rejet de la proposition gouvernementale, les partis appartenant à la coalition au pouvoir, à savoir Ennahdha et Nidaa. Ceux qui ont voté pour la levée, et donc approuvé la proposition du gouvernement, on trouve le Front populaire, Attayar et l'UPL. Pour éviter de participer au vote, les autres députés de la commission ont préféré jouer l'autruche en s'absentant.
En d'autres termes, nous avons un gouvernement qui propose un texte des plus sensés qui se trouve rejeté par les siens et approuvé par ses opposants. Pour justifier le rejet, les députés ont mis en doute l'intégrité des agents de l'administration fiscale, appelant à sécuriser l'opération de la levée du secret bancaire à travers une autorisation judiciaire. A les entendre, nos magistrats seraient donc plus intègres que nos inspecteurs fiscaux. CQFD. Une évidence leur échappe, quand on n'a rien à cacher, on n'a pas à avoir peur de montrer ses comptes… Une évidence ne nous échappe pas, quand on veut cacher quelque chose, on invente toutes sortes d'excuses pour éviter le contrôle.
Nous prétendons avoir fait une révolution, nous prétendons vouloir la transparence, nous prétendons vouloir lutter contre l'évasion fiscale et nous prétendons vouloir combattre la corruption. Le gouvernement a pris acte de nos doléances et a fait des propositions dans ce sens. Il se trouve que ses propositions, qui vont dans notre sens, sont aujourd'hui rejetées par les « propres » députés de ce gouvernement et approuvées par ceux de l'antisystème. Conclusion : la famille politique au pouvoir est en train de se moquer de nous en faisant l'exact contraire de ce qu'elle dit. Et c'est là où l'on ouvre un boulevard aux candidats de l'antisystème pour les prochaines élections ! Que nos députés continuent comme ça et je serai le premier soutien de Samia Abbou ! Elle a le mérite d'appliquer ce qu'elle promet !
Avec le rejet des textes supposés lui ramener des recettes supplémentaires (taxes sur les piscines, augmentations des vignettes…) et aider à l'équité fiscale, à la transparence et à la lutte conte la fraude, Youssef Chahed enregistre un échec cuisant. Une sorte de claque infligée par son propre camp (Nidaa) et ses alliés au pouvoir (Ennahdha). Qu'un chef du gouvernement, sur le départ ou rejeté par les siens, essuie cette claque cela pourrait se comprendre. Mais Youssef Chahed vient d'arriver et bénéficie, théoriquement, du soutien général. Il y a quelque chose qui n'a pas fonctionné entre le chef du gouvernement et les députés (ou leurs partis), une sorte de chaînon manquant. Officiellement, c'est Iyed Dahmani qui est ministre chargé des Relations avec le parlement. Mais M. Dahamni ne pouvait pas être en même temps à Paris en visite officielle et à Tunis près des députés pour « vendre » le projet de loi du gouvernement. Sauf que le chaînon manquant ne peut pas se résumer à Iyed Dahamni seulement. Dans toutes les démocraties, il y a ce qu'on appelle les « lobbys » qui fonctionnent entre les différentes corporations et les députés, mais aussi entre le gouvernement et les députés. C'est à ces lobbys d'approcher un à un les députés pour les convaincre de proposer, d'appuyer ou de rejeter telle ou telle proposition de loi.
Si l'on juge à travers les résultats, puisque seuls les résultats finaux comptent, les lobbys ont bien fonctionné, mais pas dans le sens désiré par les adeptes de la transparence et la lutte anti-corruption. Sans aller jusqu'à dire que ce sont les lobbys mafieux qui ont réussi, mais le fait est là, les lobbys devant appuyer la proposition gouvernementale ont failli. En théorie, c'est à Iyed Dahmani de constituer ces lobbys et d'aller « vendre » la politique de son chef auprès des députés de l'opposition. Mais puisqu'on navigue en plein délire, Iyed Dahamni doit commencer par convaincre les députés de sa propre famille politique gouvernementale d'union nationale avant d'aller voir les adversaires. Iyed Dahmani possède-t-il ces lobbys capables d'aller convaincre un à un « ses » propres députés ? La réponse est négative au vu des résultats. Sans ses propres lobbys, et en face de lobbys cherchant à servir leurs propres intérêts et infiltrés dans son propre camp, Youssef Chahed ne pourra pas avancer et tenir ses promesses. Comment fonctionnent les lobbys, quels moyens possèdent-ils pour « convaincre » et persuader les députés d'aller dans un sens et pas un autre ? Youssef Chahed pourrait demander conseil à Béji Caïd Essebsi ou à Rached Ghannouchi, ils ont tous les secrets en la matière…