Nous l'avons notre réponse. Il faut avouer qu'elle n'a pas beaucoup tardé… Au moment de la réélection massive – du large plébiscite – du chef de l'Etat, nous nous étions interrogés sur une éventuelle trêve. Un moment d'accalmie, un appel à l'apaisement, au calme et à l'union. Son frère, auto-proclamé porte-parole, directeur de campagne et « explicateur », nous avait parlé d'une « trêve politique ». Point ne nous en fût révélé… Nous nous étions demandés si, pendant les cinq années à venir où il devra rempiler à la tête de l'Etat, le président privilégiera l'apaisement ou l'escalade ? S'il aura appris de ses erreurs ? Si cette ère nouvelle qui s'annonce, sera celle de l'autocritique ou du tout permis au nom d'un supposé chèque en blanc ? En réponse, il n'a été question que d'une cadence d'arrestations et d'un flot de menaces.
Nous avons atteint un point culminant hier. La cerise au sommet du glaçage du gâteau de la discorde. Le chef de l'Etat avait réuni les deux Chambres pour prononcer son discours d'investiture. S'adressant aux élus, mais surtout aux Tunisiens, il a continué sur la lancée des menaces. Dès la deuxième minute, le ton a été vite donné. Il a été question de « voleurs », de « traitres » et d'« oppresseurs », de tous ceux qui « rêvaient de faire exploser le pays et de le démanteler ». Mais, il a été question de bien plus que cela. Selon l'actuel locataire de Carthage, fraîchement renconduit, « le peuple a choisi de traverser, et de poursuivre, la guerre de libération des résidus, des reptiles venimeux et des vipères ». Pourquoi ce lexique ? On emploie souvent le mot vipère pour désigner les traitres et les personnes malveillantes. La vipère est souvent associée à la notion de tromperie et de danger. Inutile donc de vous faire un dessin.
On aurait pu penser – espérer plutôt – que le premier discours du nouveau mandat aurait été celui de l'apaisement, surtout avec un slogan où il est question de « construction et d'édification ». Surtout que l'ancien-nouveau président a été réélu avec un score qui aurait dû le rassurer quant à sa popularité et, soyons-fous, peut-être même l'encourager à relâcher la pression. Réfrénez vos espérances. Auparavant, vous étiez des traitres, des comploteurs, des corrompus…aujourd'hui, vous n'êtes que des vipères. De sales petits reptiles. Il est loin le temps où on s'offusquait d'être traitées de « safirates » par Moncef Marzouki. L'ancien président avait commis l'affront de cataloguer les Tunisiennes en porteuses ou non de hijab. Tout cela était bien gentil…
Il est d'usage que les discours d'investiture soient consacrés à restaurer l'unité nationale. Surtout dans un pays qui en souffre terriblement et qui n'a pas connu sentiment d'unité depuis plus longtemps qu'il ne s'en souvienne. Rassembler la nation, apaiser les tensions, gommer les divisions et insister sur l'importance de travailler ensemble. Tout cela n'est pourtant pas bien compliqué. Tout cela est même vital dans un pays où l'activité partisane et opposante a été diabolisée, de même que les médias et les hommes d'affaires et où le peuple, s'il n'adhère pas, est désormais relégué au rang d'animaux, de reptiles, de vipères…
Quel intérêt derrière ce discours ? Il ne faut pas être un fin connaisseur en rhétorique politique pour comprendre le message derrière de tels propos. La déshumanisation des proclamés « ennemis » ne sert qu'à fédérer les partisans à travers la colère et la peur, afin de maintenir un contrôle déjà bien présent. Une stratégie qui aura pour but de justifier davantage la répression du pouvoir et les mesures liberticides contre ceux qui « compromettent la sécurité nationale ». Le discours d'un régime qui exige une totale loyauté – une loyauté aveugle - en insinuant que tous ceux qui ne se soumettent pas à sa vision ne peuvent être que des « ennemis de l'Etat ».
Le moment de l'union n'a pas encore sonné…bandes de vipères…