L'instance électorale a déclaré vainqueur le président sortant Kaïs Saïed avec 90,69% des voix. Un plébiscite qui ne laisse d'autre choix à Kaïs Saïed : il se doit pour son second mandat de concrétiser les innombrables promesses qu'il ne cesse de donner depuis trois ans. L'Union soviétique est morte, mais pas vraiment enterrée. Il reste encore quelques-uns de ses vestiges dans quelques pays africains et d'Amérique latine et dans tous les pays arabes. Après la victoire de Abdelmajid Tebboune en Algérie avec 84,3% des voix (pour un taux de participation de 46,08%), c'est au tour de son « frère » tunisien Kaïs Saïed de gagner haut la main la présidentielle avec 90,69% des voix (pour un taux de participation de 28,8%). Des scores soviétiques qui donnent aux dirigeants un véritable chèque en blanc. En dépit de son très faible bilan, Kaïs Saïed a obtenu du peuple tunisien un plébiscite. Comme pour lui dire, « continue ce que tu as commencé et poursuis le même chemin ». Pendant les trois dernières années de son premier mandat, Kaïs Saïed avait le pouvoir absolu. Il a changé la constitution et gouvernait avec des décrets-lois dans un premier temps puis via une assemblée qui lui est totalement acquise. « Le gouvernement est là pour exécuter les ordres et la politique dessinée par le président de la République », répétait-il souvent. Cet autoritarisme plait et rassure, visiblement, la population. D'où le plébiscite.
La question est maintenant de savoir si le fait de continuer sur le même chemin signifie de continuer à faire des promesses sans exécution. Pendant ses trois ans de pouvoir absolu, Kaïs Saïed avait l'habitude de multiplier les promesses en l'air. À l'exception des rendez-vous électoraux organisés dans les délais, quasiment rien de ce qu'il a promis n'a été concrétisé. Cela va de l'hôpital de Kairouan au stade d'El Menzah en passant par la toute simple piscine municipale du Belvédère qui devait entrer en activité en septembre 2024. Depuis le 25 juillet 2021, Kaïs Saïed est à son troisième chef du gouvernement. Les deux précédents ont brillé par leur incompétence, ce qui justifie en partie que les promesses présidentielles n'aient pas été concrétisées. Des dizaines de ministres et de gouverneurs ont été limogés, durant la même période, pour les mêmes raisons. Depuis le 25 juillet 2021, le régime Kaïs Saïed a placé en détention des dizaines d'hommes d'affaires, parmi les plus puissants du pays, accusés de blanchiment d'argent, de détournement de fonds et d'un tas d'autres faits délictueux. Pour le peuple, le président était en train d'assainir le pays de ses corrompus. Egalement, depuis le 25 juillet 2021, le régime a placé en détention des dizaines de politiciens et d'hommes et femmes de médias. Ces gens complotaient contre le président et contre l'Etat et diffusaient de fausses informations pour lui mettre les bâtons dans les roues. En trouvant des boucs-émissaires et des excuses pour justifier la non-concrétisation de ses promesses, Kaïs Saïed a réussi à convaincre 2,4 millions de personnes représentant 90,69% de ceux qui ont voté dimanche dernier. S'il a échoué, ce n'est pas de sa faute, c'est à cause de tous ces incompétents et de ces traitres.
Maintenant que les traitres sont en prison, que les incompétents de ses gouvernements ont été limogés, que les médias ont été bâillonnés, et que les hommes d'affaires et autres spéculateurs ont été mis en hors d'état de nuire, il ne reste plus vraiment d'excuses et de boucs émissaires pour ne pas concrétiser les innombrables promesses données durant les trois dernières années. « C'est le temps de la construction et de l'édification », brandissent les partisans du président. Ce nouveau slogan est à prendre à la lettre et tombe à point nommé. Maintenant qu'il a un chèque en blanc et l'adhésion du peuple, Kaïs Saïed n'a plus d'autre choix que d'exécuter ses promesses et de passer à la construction et l'édification. Le fait d'être adoubé par 90% de la population l'oblige politiquement à rendre paisible et stable la vie politique. Libérer l'ensemble des prisonniers politiques est la condition sine qua non pour atteindre cet objectif. Pour l'économie, et afin de ne pas décevoir ses 2,4 millions d'électeurs, il se doit de trouver une solution pour en finir avec l'inflation à deux chiffres de plusieurs produits alimentaires de première nécessité et à la croissance zéro. Pour ce faire, il se doit aussi de rendre paisible et stable la vie économique. Libérer les chefs d'entreprise impliqués dans de simples affaires d'argent est la condition sine qua non pour atteindre cet objectif. Quant à la question des libertés et ces centaines de prisonniers d'opinion, Kaïs Saïed a le devoir moral de desserrer la vis, maintenant qu'il est plébiscité. La place de tous ces journalistes et de tous ces citoyens emprisonnés pour un post Facebook ou un travail journalistique n'est pas en prison et il n'y a plus de motif politique valable pour qu'ils y restent. Certes, Kaïs Saïed a décidé une amnistie spéciale envers eux en juillet dernier, mais plusieurs dizaines, voire centaines, sont encore en prison, dont nos confrères Sonia Dahmani, Mohamed Boughalleb, Mourad Zeghidi et Borhen Bssaïs.
Concrètement, le peuple sera le premier bénéficiaire d'une vie politique stable et paisible et d'un paysage économique prospère. Mais c'est Kaïs Saïed, le premier, qui tirera les premiers dividendes d'une telle pacification, car c'est elle et uniquement elle qui lui permettra de concrétiser ses promesses. Les boucs émissaires et les traitres de tous genres ne pouvant plus lui servir d'excuses pour justifier l'échec et l'inexécution des promesses, il se doit de passer à l'acte. Pour réussir, il a inévitablement besoin d'un maximum d'adhérents à son projet, d'un minimum d'ennemis et, surtout, d'être fédérateur. Les premiers signaux, dans un sens ou dans l'autre, seront à déceler dans ses discours de ces prochains jours. On saura, à partir de là, quelle voie va choisir le président plébiscité, celle de la construction et l'édification ou bien celle d'avant des 1001 excuses.