Le parti destourien libre (PDL) observe un sit-in depuis trois jours devant le siège de l'Union des Oulèmas musulmans à l'avenue Kheïreddine Pacha à Tunis. Si le premier jour s'est passé sans accrocs, il n'en est pas de même pour la deuxième journée caractérisée par deux incidents provoqués par la police tunisienne. Le premier s'est matérialisé hier matin, mercredi 15 décembre avec l'arrivée sur le lieu de sit-in de policiers en tenue civile pour confisquer le drapeau tunisien. Le drapeau qui ornait le bureau de Abir Moussi, présidente du PDL. Le prétexte est des plus risibles, la police a peur que l'on utilise à mauvais escient le bout pointu de la hampe portant le drapeau. Fidèle à ses habitudes, Abir Moussi ne s'est pas laissé marcher sur les pieds et a refusé qu'on lui confisque son drapeau. La police a insisté pour dire qu'elle n'est là que pour confisquer la hampe et non le drapeau, rien à faire, Abir Moussi était sure de son bon droit. Après quelques échanges verbaux tendus, la police a dû utiliser la force, en poussant Abir Moussi par terre, pour confisquer le drapeau et la hampe. Le soir, seconde manche du harcèlement policier contre les sitinneurs du PDL. Ils débarquent, toujours en tenue civile, pour confisquer cette fois la tente sous laquelle s'abritait Abir Moussi et ses compagnons. Ils ont ainsi fait descendre le conducteur de la voiture transportant la tente pour la saisir. Alors que la voiture s'apprêtait à partir, la présidente du PDL s'est positionnée devant le véhicule pour l'en empêcher, mais le policier n'a pas reculé et a foncé sur elle. Ses collègues l'ont sommé de faire marche-arrière tout en éloignant Abir Moussi pour qu'il puisse partir avec la tente. Abir Moussi a, tout de suite, crié au scandale estimant qu'on cherchait à la tuer.
S'il y a clairement exagération de la part de la présidente du PDL et que c'est clair que la police ne cherchait ni à la tuer, ni à la percuter, il est utile de s'interroger sur ces deux incidents de la journée et sur les priorités des policiers tunisiens qui, à de multiples reprises, répétaient qu'ils ne faisaient qu'exécuter les ordres. Le sit-in du PDL devant le siège des Oulémas musulmans est le deuxième du genre. Par son action, Abir Moussi entend faire pression sur les autorités pour fermer définitivement cette antenne de financement du terrorisme en Tunisie d'après elle. Elle a présenté plusieurs documents prouvant, selon ses dires, que cette antenne est une organisation-écran cachant les transferts de fonds étrangers destinés à différentes organisations islamistes et terroristes. Malgré la gravité des accusations, aucune action concrète n'a été menée contre cette organisation par les autorités, hormis une rupture d'un accord de coopération décidée par le ministère des Affaires religieuses. Cela pouvait se comprendre avant le putsch du 25-Juillet, mais qu'en est-il après ? La passivité des autorités suscite, au minimum des interrogations pour ne pas dire des suspicions quant à la complicité du pouvoir actuel avec les islamistes. En dépit des apparences, force est de constater que les cabales menées contre les différents hommes politiques ménagent, pour l'instant, les dirigeants d'Ennahdha. Kaïs Saïed a beau épingler les islamistes d'Ennahdha dans ses discours et crier au scandale du financement étranger, il n'y a absolument rien eu de concret. Le président de la République a beau parler de la corruption de la justice et de l'influence d'un certain dirigeant islamiste sur un pan de cette justice, Noureddine Bhiri n'a jamais été dérangé. Aucun dirigeant de l'organisation des Oulémas musulmans n'a été inquiété par ailleurs.
Là où le bât blesse cependant, c'est la politisation d'un département de l'Intérieur dont les priorités sont contraires au bon sens. Il consacre ses ressources limitées à combattre un parti politique d'opposition et courir derrière une hampe et une tente, alors que les priorités du pays devraient être ailleurs. Qu'en est-il ainsi de tous ces fugitifs islamistes qui ont disparu dans la nature depuis le 25 juillet. Il y a bien un mandat d'amener émis contre le député Rached Khiari qui tarde d'être exécuté depuis le mois d'avril. Huit mois après, l'islamiste radical court toujours, malgré le nombre d'affaires dans lesquelles il est impliqué. Le député Mohamed Affes fait aussi l'objet d'un mandat d'amener émis par un juge d'instruction militaire. Il est également islamiste radical, impliqué dans l'affaire de l'aéroport et épinglé pour ses prêches appelant à envoyer des Tunisiens au djihad en Syrie. Non seulement, la police n'arrive pas à le coincer, mais il a le chic de les provoquer avec ses publications Facebook régulières et on n'arrive toujours pas à remonter jusqu'à lui à travers son adresse IP. Idem pour l'autre islamiste radical Maher Zid, condamné à de la prison ferme et objet d'un mandat d'amener. Les plus grands fugitifs demeurent indéniablement les assassins de Lotfi Nagdh, qui ont été condamnés en appel à de la prison ferme et qui se sont évaporés dans la nature.
La politisation du ministère de l'Intérieur et l'utilisation de la police nationale afin de combattre des adversaires politiques est l'une des choses qui pourrait nuire le plus à ce corps armé et à sa réputation. Cette même police l'a su à ses dépens en 2011 et s'est engagée à être républicaine. Cette même police tombe, de nouveau hélas, dans le piège de sa hiérarchie politisée. En refusant d'octroyer une autorisation pour l'implantation d'une tente, en mobilisant des policiers pour faire lever cette tente et confisquer une hampe, dans un pays où le nombre de constructions anarchiques se compte par milliers, le ministère de l'Intérieur donne un très mauvais signal quant à ses priorités et sa soumission au diktat politique. Il démontre, surtout, qu'il est revenu à des décennies en arrière quand il était au service exclusif de la dictature et non de la patrie.