L'ambiance était électrique, le bruit assourdissant. Ce fut un ratage d'une implacable brutalité Un cuisant échec, et encore un raté pour l'Assemblée nationale constituante. Hier, ce devait être un tournant important avec le démarrage du débat général autour de la Constitution. Hélas ! La séance de l'après-midi, présidée par un Mustapha Ben Jaâfar fort attristé, annonce-t-il, a été un copier-coller de celle du matin. Le rapporteur général qui s'époumonne pour lire le rapport et un groupe de constituants essayant de l'en empêcher à tout prix. En entonnant inlassablement l'hymne national, en claironnant des slogans empruntés aux manifestations comme «le peuple revendique un Etat civil, une Constitution démocratique», et en tapant des mains sur leurs pupitres. L'ambiance était électrique, le bruit assourdissant. Ce fut un ratage d'une implacable brutalité. Le groupe contestataire et bruyant est hétéroclite. Plusieurs élus relèvent de l'opposition, mais certains du CPR, comme Omar Chetoui, se sont transformés en chauffeurs de salle, criant et hurlant de toutes leurs forces. Samia Abbou n'était pas en reste. Du bloc démocratique, Ali Ben Chrifa, Mongi Rahoui et Selma Mabrouk ont pris sur eux de ne pas laisser l'ambiance se tasser. A l'évidence, les constituants étalaient au grand jour leur refus de ce qu'ils avaient jugé comme un passage en force de la présidence de l'ANC avec le groupe majoritaire. Considérant qu'ils n'avaient pas été écoutés par le passé, ils ont décidé de saboter cette plénière d'ouverture. La démarche était choisie, le timing aussi. «Une confiscation des travaux des commissions» «Ce qui a été fait par le comité de coordination et de rédaction de la Constitution est une confiscation des travaux des commissions, par le rapporteur général et le président de l'Assemblée», déclare Mongi Rahoui à La Presse, et, a-t-il ajouté, une interprétation erronée de l'article 104. Par cet ajout unilatéral des dispositions transitoires, l'ANC, dans sa configuration actuelle, est appelée à gouverner indéfiniment. Les modifications apportées aux chapitres des droits et libertés ou celui de la justice sont inadmissibles. «Et pour ce qui est du choix de ce jour censé être une fête et le début de quelque chose que vous avez fait échouer?», insistons-nous. Mongi Rahoui persiste et signe: «Nous avons tenté à maintes reprises d'engager le dialogue autour des points litigieux, avant d'entamer ce processus du débat général, nous avons été superbement ignorés. Si la plénière s'était déroulée normalement, ils nous auraient donné un temps de parole, comme si de rien n'était, pour avoir le dernier mot au final. Il n'en sera jamais ainsi», prévient-il. Il faut dire, cependant, que la persistance et la capacité d'endurance du rapporteur général et de ses deux assistants ont fini par avoir raison des bruyantes protestations. Ils ont fini, essoufflés, certes, par lire le rapport, qui reprenait la genèse du projet de Constitution, en faisant un rappel de l'histoire constitutionnelle de la Tunisie. Ils y sont parvenus finalement, encouragés par les acclamations et les applaudissements des constituants, essentiellement du parti Ennahdha. «S'ils veulent écrire une Constitution communiste, qu'ils aillent le faire ailleurs» Habib Khedher, a salué les élus du peuple qui ont adopté, selon ses termes, une attitude responsable, y compris ceux qui ne relèvent pas de la coalition gouvernementale. Mais les autres qui prévoient d'intenter un coup d'Etat sur la légalité ne parviendront à rien, déclare-t-il, presque en colère, à La Presse. Ce qui a créé la zizanie hier dans l'Assemblée, en plus de cette tragicomédie transmise en direct, c'est la distribution d'une copie de la Constitution, poinçonnée par l'entête de l'ANC. Il s'est avéré que c'est le même groupe de constituants contestataires qui a distribué cette ancienne copie de la Constitution, avant qu'elle ne soit «pervertie par le comité de rédaction». Or, s'insurge Habib Khedher, l'ANC est une institution régie par des dispositions légales. Il est interdit par la loi de parler en son nom, ou de faire circuler une pièce administrative qui n'ait déjà obéi auxdites dispositions. C'est une falsification, accuse le rapporteur général, et de plus publiée par une commission dite de relecture de la Constitution, qui n'existe nulle part dans les structures de l'ANC. S'ils ont l'ambition d'écrire une Constitution communiste, qu'ils aillent le faire ailleurs, et s'ils se démènent ainsi pour supprimer le mot Islam, ils ne parviendront à rien, lance-t-il, menaçant. La séance a été levée à 19h00 passée, dans une ambiance fiévreuse. Le débat général autour de la Constitution s'annonce rude et long. Plus de 170 constituants ont demandé la parole pour intervenir au cours des ces trois jours. Comme nous l'avons sans cesse répété, à défaut d'être aplanies à l'intérieur des commissions, les difficultés ont été tout juste déplacées. Il est presque inévitable que les plénières, à l'instar d'hier, soient le théâtre d'un combat idéologique, culturel et politique féroce.