«Toute attaque contre le local du parti Ennahdha équivaut à porter atteinte à une mosquée», avait déclaré Noureddine Khademi, ministre des Affaires religieuses jeudi 26 juillet 2012, sur les ondes de Radio Cap.fm. Rached Ghannouchi, président du parti, a avancé pour sa part que les ennemis de l'Islam sont prêts à détruire le pays, dans le but de faire déchoir Ennahdha du pouvoir et que «leurs tentatives sont vouées à l'échec, aussi longtemps que la Oumma restera attachée à sa religion et suivra le droit chemin». Autant de déclarations qui cultivent subtilement l'amalgame entre le parti politique Ennahdha et la religion de presque tous les Tunisiens: l'islam. Déclarations qui rappellent malheureusement la tristement célèbre sentence de Karl Marx «La religion est l'opium du peuple». Car bien avant l'arrivée des Islamistes au pouvoir en Tunisie, leur campagne, quoique ait déclaré Abdelhamid Jelassi, membre de la direction d'Ennahdha et directeur général de sa campagne, n'était pas classique dans le sens de convaincre les électeurs d'un programme socio-économique pertinent. Ou encore de la réconciliation du Tunisien avec le politique ou qui n'hypothèque pas l'avenir du pays. Elle avait pour fer de lance la récupération des Tunisiens de «leur identité arabo-musulmane» comme s'ils étaient tous des apostats. Les prêches dans les mosquées chantaient l'hymne du retour aux «racines» et appelaient les Tunisiens à ne pas renier leur culture, leur rappelant la grandeur de la religion islamique et la joie d'avoir aujourd'hui en Tunisie, enfin, une composante politique qui la préserverait Pourtant, l'Etat tunisien, de l'indépendance à aujourd'hui, n'a jamais été laïc. Presque 90% de la Constitution tunisienne de 1956 a été inspiré des valeurs islamiques, et même le CSP (Code du statut personnel) a puisé sa légitimité dans une interprétation tolérante de l'islam. La campagne électorale Ennahdha a berné les électeurs dans le sens où elle leur a astucieusement fait comprendre que les victimes de la coercition des régimes Bourguiba et Ben Ali, ceux qui se sont sacrifiés pour la «Oumma», qui ont souffert de l'oppression, craignent Dieu et appliquent les valeurs de l'islam, ne peuvent en aucun cas être eux-mêmes des oppresseurs ou des injustes corrompus. Abdelhamid Jelassi et co ont eu la chance de profiter de la diffusion de films tels «Laïcité inchallah» de Nadia El Feni ou encore «Pérspolis». Une vanne dont ils ont pu tirer profit à merveille. Ils ont oublié entre temps que l'on ne pouvait gérer un pays à coups de prêches ou de belles intentions mais par des compétences, un savoir-faire et une maîtrise des institutions de l'Etat et des arcanes de l'Administration. Ils ont également feint d'oublier que parmi ceux qui ont été emprisonnés, beaucoup ont commis de graves actes de violences et se sont attaqués aux hauts intérêts du pays. Parmi eux figurent des noms qui illustrent parfaitement le concept du terrorisme tel que cultivé par les Etats-Unis d'Amérique, aujourd'hui fervents défenseurs de l'islam politique. La plus grande arme de la campagne électorale Ennahdha a été donc religieuse, tirant son bien-fondé dans l'islam, ses valeurs et sa morale qu'elle a instrumentalisés sciemment et sans scrupules. Plus d'un million de Tunisiens analphabètes et pauvres y ont cru, car pour eux, Dieu et ceux qui représentaient l'islam dans sa grandeur, son équité et sa commisération ne pouvaient que les aider à se sortir de leur vécu désastreux. Seulement la pratique de la politique sur le terrain est autre, et les désillusions ont très vite remplacé l'espoir d'un mieux-vivre et d'un mieux-être. La gestion économique, sécuritaire et sociale du pays ne peut en aucun cas se faire sur la base de discours religieux ou de prêches dans les mosquées. C'est ce qui explique le retour de manivelle observé aujourd'hui sur tout le territoire national. Ne passe pas un mois ou même une semaine sans que l'on entende parler d'attaques à l'encontre des sièges du parti majoritaire. A Thala, à Makthar, à Sidi Bouzid, Menzel Bouezaiene, à Regab ou Redayef, les assaillants étaient des jeunes chômeurs mécontents, vivant dans la précarité et qui revendiquaient leur droit à la dignité et surtout à être entendus et écoutés. Car comme on ne peut pas vivre d'amour et d'eau fraîche, on ne peut pas vivre seulement de religion et de spiritualité. Le Prophète lui-même n'a-t-il pas dit: «vis ta vie comme si tu allais vivre éternellement et vis pour le jour du jugement comme si tu allais mourir demain»? L'islam pour nous autres Tunisiens, tolérants, ouverts et pacifistes, ne doit pas devenir une aliénation, ni une réponse à la détresse humaine ou la précarité sociale. Il représente surtout une nourriture spirituelle rassurante et la promesse d'une sérénité que tout être humain est en droit d'avoir. Mais lorsque l'on est confronté aux difficultés de l'existence, la religion ne peut être qu'une illusion compensatoire car dans ce cas précisément, c'est de terrestre que l'on a besoin et non de céleste. Ce qui revient à dire que les réponses aux préoccupations des Tunisiens, loin d'être principalement religieuses ou identitaires, sont socioéconomiques et sécuritaires.