« Aussi longtemps que nous acceptons le principe que la foi religieuse doit être respectée simplement parce que c'est la foi religieuse, il est difficile de refuser ce respect à la foi d'Ousama ben Laden et des auteurs d'attentats suicides. L'alternative, si évidente qu'il est inutile d'en souligner l'urgence, est d'abandonner le principe du respect automatique de la foi religieuse. S'ils ne sont pas extrémistes en soi, les enseignements de la religion modérée sont une invitation ouverte à l'extrémisme ». Richard Dawkins, Pour en finir avec Dieu, p.319 La violence aveugle a encore frappé en Tunisie. Un homme, un député de l'ANC, a été abattu froidement devant son domicile, le jour anniversaire de la proclamation de la république, en présence de ses enfants et de ses voisins. Son exécuteur le crible de balles et part tranquillement, au bord d'une Vespa, en compagnie d'un complice qui l'attend. La scène s'est déroulé à moins de deux cents mètres de la résidence de Rached Gannouchi. Le meurtrier, identifié avec une extrême rapidité, court toujours. Selon les premières investigations policières, il serait impliqué dans l'assassinat du martyr Chokri Belaïd. La société civile rejette cette version des faits et exige la dissolution de l'ANC et la démission du gouvernement, dominé par Ennahdha. Pour la majorité écrasante des Tunisiens, ce dernier est directement responsable des attentas qui ensanglantent le pays. Deux jours après le drame, plusieurs centaines de milliers de citoyens, appuyés par plus de cinquante députés, sont en sit-in ouvert devant le siège de l'ANC pour obtenir gain de cause. Cette crise, la deuxième dans la vie de la Troïka, survient dans des conditions très particulières et aggrave les dissensions idéologiques et sociales. L'islamisme devient, pour une grande partie de la société civile, l'ennemi public par excellence dont l'éviction est nécessaire pour sauver et le pays et l'Etat. Or, qui dit islamisme, dit Ennahdha et c'est, semble-t-il, sa tête qui est mise à prix. Des faits accablants, attestant de la complicité de ce mouvement avec l'extrémisme religieux, dans son expression jihadiste, sont sur toutes les langues. Pour certains acteurs de la société civile, l'assassinat de Mohamed Brahmi, comme celui de Chokri Belaïd, aurait été commandité par l'aile extrémiste de ce parti. Des noms précis sont cités. Plus grave encore, on parle d'une infiltration du ministère de l'intérieur par des éléments partisans, à la solde de Mont-plaisir, le siège du gouvernement de l'ombre qui dirige le pays. Les événements survenus le 27 juillet, à Tunis et ailleurs, confirment les appréhensions des Tunisiens. Des faits troublants se sont produits qui prouveraient l'existence d'un service sécuritaire parallèle, commandé directement par le premier ministre, ancien patron du ministère de l'intérieur. Il existerait même un groupe d'intervention, recruté par Ali Lareïdh sur la base de son profil idéologique partisan, dont l'excès de zèle s'est fait sentir de manière évidente. Certains, dont des députés sit-inneurs, parlent, à ce propos, de confrontations entre les agents de l'ordre. Plus grave encore, la police parallèle aurait fait son apparition. Des civils, portant des tenues règlementaires et armés de matraques, se seraient acharnés sur les manifestants. Des corps, encore plus étranges, se sont occupés, sans chercher à se dérober, à les filmer. Pour certains observateurs, la police politique serait de retour. Le comble, selon des témoignages concordants, c'est la complicité évidente entre la police et les milices des LPR, dont une, affirment certains, est dirigée par le fils du premier ministre en personne. Partout ailleurs, les LPR se sont signalées par un excès de violence, dirigé, comme par hasard, contre les détracteurs du gouvernement en place. Pour ces honorables miliciens, défenseurs autoproclamés de la légalité, la révolution s'identifie à la Troïka régnante et, plus particulièrement, au parti dominant. Voilà les faits controversés qui alimentent aujourd'hui le profond différend séparant le pouvoir et l'opposition et, au-delà de cette dernière, la société civile. L'argument des instances gouvernantes, manifestement aux abois, comme l'atteste le discours du président de l'ANC à l'adresse du peuple tunisien, se résume en un mot, et un seul : la légitimité électorale, légalement caduque depuis le 23 octobre 2012. Dans le camp adverse, c'est le ras-le-bol irrévocable. Les dérives sont telles, argue-t-il, qu'il n'y a plus rien à réformer. Les excès du parti dominant, dont l'hégémonie est évidente un peu partout, sont de plus en plus insupportables. L'instrumentalisation abusive de la religion et l'infiltration des structures de l'Etat par des éléments partisans figurent parmi les chefs d'accusation les plus graves. L'avenir du pays, et de la transition « démocratique », dépend étroitement de l'issue de cette crise dans laquelle des observateurs, locaux et étrangers, perçoivent les prémices d'une guerre civile. La crise égyptienne, dans laquelle Ennahdha s'implique de manière inconsidérée, est à l'origine du dialogue de sourds entre les deux parties en conflit. Le pouvoir, à son siège défendant, dénonce une sordide conspiration ourdie par des parties étrangères (dont l'entité sioniste, à en croire R. Gannouchi) avec la complicité évidente de factions locales. L'objectif des uns et des autres : compromettre définitivement le processus transitionnel dans les pays du « printemps arabe », toujours selon l'analyste R. Gannouchi. L'opposition, composée essentiellement, par les organisations de la société civile, œuvre, elle, sans détours pour arracher la révolution tunisienne aux usurpateurs qui s'en sont emparées pour la dévoyer. Le printemps arabe est en phase de métamorphose avancée. Dans quelque temps ce dernier cèderait sa place à l'été arabe. .