Par Abdelhamid Gmati On a pensé qu'un consensus national avait dégagé une volonté commune de dénoncer la violence et d'y mettre fin. Partis politiques au pouvoir ou dans l'opposition, représentants de la société civile et diverses personnalités s'accordaient sur ce sujet. Mais certains événements récents semblent contredire cette unanimité. Des Ligues de protection de la révolution (LPR) de la région de Sfax ont menacé les journalistes de Radio-Sfax, organisant contre eux une vaste campagne de dénigrement. A Sbikha (gouvernorat de Kairouan), des individus ont menacé le propriétaire d'un local loué au parti Nida Tounès et ont exigé l'annulation de la location, sinon ils brûleraient le local. A Kairouan, les membres de la LPR ont essayé d'empêcher le meeting que comptait organiser le parti Al Joumhouri. Le meeting a quand même eu lieu sous haute surveillance policière. A Zarzis, à l'occasion de la fête de l'Indépendance, une manifestation de la société demandant l'accélération de l'enquête sur l'assassinat de Chokri Belaïd a été attaquée par des membres de la LPR de la région et des salafistes qui ont agressé verbalement et physiquement les manifestants. Il y a deux jours (vendredi dernier), à Sidi Bouzid, des salafistes ont empêché une représentation théâtrale, présentée dans le cadre du festival de la révolution de Regueb, tabassant le régisseur et confisquant une caméra. Les comédiens ont dû fuir la salle. Le même jour, à Rouhia (gouvernorat de Siliana), des salafistes s'en sont pris à un «marginal» accusé de blasphème et l'ont poursuivi jusqu'au poste de police qu'ils ont attaqué, saccageant au passage plusieurs voitures. Les citoyens de la localité ont appelé les autorités compétentes à mettre fin aux agissements de ces individus. La violence continue donc de plus belle. Et comment en serait-il autrement ? Le président de la République, Moncef Marzouki, a, dans son allocution du 20 mars dernier, dénoncé la violence, affirmant que la République a une armée et des institutions pour la protéger et qu'il n'y a pas lieu que d'autres organismes prétendent le faire. Mais au lieu de se prononcer clairement sur la dissolution de ces organismes, c'est-à-dire les LPR, il a demandé aux membres des LPR de transformer leurs organisations en des associations civiles œuvrant dans les domaines culturel et politique, l'Etat pouvant les dissoudre si leur caractère violent est prouvé. Ce caractère violent des LPR n'a-t-il pas été maintes fois prouvé ? A Tataouine où le militant Lotfi Nagdh a été «lynché». Le rapport de la commission mixte d'enquête sur les incidents du 4 décembre devant le siège de l'Ugtt désigne sans équivoque les LPR comme principaux responsables de ces incidents qui avaient fait plusieurs blessés. Selon le juge au tribunal administratif et membre de cette commission, M. Ahmed Souab, «il y a une volonté évidente des représentants du gouvernement à la commission, d'innocenter les LPR». Et ils ne semblent pas vouloir s'arrêter sur ce chemin de la violence perpétrée surtout contre les personnalités et les partis d'opposition. Certains se demandent à quoi joue le président Marzouki qui, le 20 mars, a gracié 366 détenus, dont certains impliqués dans des affaires de meurtres. Faut-il rapprocher cette amnistie présidentielle avec les déclarations récentes de l'inénarrable Adel Almi, qui estimait que «les prisonniers qui apprennent le Coran par cœur doivent être les premiers à être amnistiés» ? A noter que ce président de l'association centriste de la sensibilisation et de la réforme donne des cours de religion dans les prisons. On apprend, d'autre part, que des recrutements des membres des LPR ont lieu dans l'administration. En effet, l'administration régionale du ministère de l'Equipement de Sfax a décidé, le 21 mars, de recruter 16 nouveaux agents. Selon Chokri Yaïche, député à l'ANC, «ces 16 nouveaux employés appartiennent tous aux LPR et ont été recrutés, non pas pour leur compétence, mais plutôt pour leur appartenance partisane». Les syndicalistes de cette administration ont décidé un sit-in prochainement pour dénoncer ces pratiques. Le 21 mars, lors de la conférence de l'Union tunisienne du service public et de la neutralité de l'administration (Utspna), il a été révélé que «90% des nominations dans le secteur public, depuis le mois de décembre 2011 et jusqu'au mois de février 2013, ont été faites, par le gouvernement, sur la base d'orientations partisanes, régionales ou familiales». L'une des revendications de l'Utspna et de plusieurs autres partis est la révision de ces nominations par une commission où la Troïka ne serait pas «juge et partie». Aucune suite n'a été donnée. Et comme on l'a mentionné, les nominations partisanes continuent avec le nouveau gouvernement. Les LPR sont donc bien protégées. Ainsi que les salafistes, deux faces d'une même médaille. Et la violence continue sous le regard bienveillant des gouvernants.