Alors que le parti de Nidaa Tounès en met plein la vue avec ses crises, ses frasques, ses querelles interminables et « renouvelables », l'autre grand parti, en l'occurrence Ennahdha, se distingue par une absence étrange de la scène publique. Ailleurs, le Front populaire a fini par étaler ses divergences au grand jour démontrant qu'il n'est plus le parti le plus discipliné, rigoureux et à la limite du « stalinien ». Quant aux autres tout petits partis que sont le CPR, Harak al-Irada et Attayar, ils compensent leur manque de popularité par une volonté manifeste de trop crier et de jouer la provocation. Et comme on l'a constaté, tout récemment, cela a été payant pour Moncef Marzouki et Al Harak qui, grâce à une opération avec la chaîne Attessiâ, ils ont repris du poil de la bête, médiatiquement parlant, cela s'entend. En effet, la tempête soulevée par les accusations quant à l'existence d'une censure sous la pression et les menaces, s'est vite estompée. L'interview a fini par être diffusée, mais on n'en sait rien s'il y a eu une enquête ou non. Pourtant, un relevé des numéros de téléphones des présumés « censeurs » aurait été suffisant pour établir les liens de cause à effet. Une séance d'audition et de questionnement du directeur général et représentant juridique de la chaîne de télévision aurait contribué à éclaircir plein de zones d'ombre. Mais, jusque-là, rien de cela n'a été fait. Pis encore, on n'en parle même plus !... Entretemps, Moncef Marzouki et, à un degré moindre, son suiveur Adnane Mansar, se sont vus bien courtisés par un grand nombre de médias dont notamment des passages sur les antennes de bon nombre de radios. Souvent pour ne rien dire de nouveau, sauf pour insulter les autres... D'autre part, si Machrou3 Tounès et son secrétaire général, Mohsen Marzouk, poursuivent, modérément, leur bonhomme de chemin, d'autre partis, tels les Afek Tounès et l'Union patriotique libre (UPL) sont de plus en plus effacés, voire complètement inexistants. Reste, maintenant, l'autre mastodonte du paysage partisan et politique qu'est le parti islamique d'Ennahdha. Où est-il ? A part, son leader Rached Ghannouchi qui continue à être actif par le biais de sa page officielle sur Facebook et Abdellatif El Mekki par ses déclarations accordées à certains médias, on ne voit plus les grands barons de ce parti qui crevaient les écrans et les ondes des radios Ce profil bas, voire carrément l'absence médiatique des dirigeants d'Ennahdha, seraient dus aux divergences sérieuses apparues entre les chefs de deux courants bien distincts. L'un a pour chef de file, bien entendu, M. Ghannouchi, et l'autre serait conduit par Abdellatif El Mekki. Ce dirigeant et député d'Ennahdha, a même reconnu l'existence de divergences de vues avec le président de son mouvement en ce qui a trait à la direction de ce parti. Il va même plus loin, cette fois-ci, en préconisant l'élection d'un bureau politique ou exécutif qui exercera le pouvoir. Le même Mekki avoue que Rached Ghannouchi n'est pas d'accord avec cette idée ». L'autre grand parti sur la scène politique n'est pas épargné, non plus, par la vague de contestation qui traverse toutes les formations politiques dans le pays. Ennahdha n'est plus le parti unitaire et monolithique qu'on connaît. Un courant réformiste se fait jour en son sein, même si ses initiateurs refusent de se reconnaître comme un courant, mais comme une lame de fond qui finira par emporter le reste. Il faut dire qu'on savait bien que le mouvement Ennahdha comportait en son sein, deux courants. Celui des «exilés » conduits par Rached Ghannouchi et composé, notamment de Rafik Abdessalem, Lotfi Zitoun, Houcine Jaziri, etc. L'autre camp appelé celui de « l'intérieur » compte dans ses rangs plusieurs figures de proue. On citera, bien évidemment, Abdellatif El Mekki, Abdelhamid Jelassi, Samir Dilou, Ali Laârayedh, Mohamed Ben Salem qui se font appeler les réformateurs » alors que dans d'autres milieux, on les surnomme les faucons ». Or, jusqu'à il n'y pas longtemps, le parti islamique parvenait à conserver une unité de façade sans jamais laisser transparaître les humeurs ou les coups de sang des uns et des autres. Il y a eu, certes, la démission du numéro 2 du mouvement et un de ses hommes-clés Hamadi Jebali, et les va-et-vient de cheikh Abdelfattah Mourou, mais cela n'a pas été suffisant pour créer des fissurer sérieuses dans les rangs nahdhaouis. On n'oubliera pas que la fameuse mise en garde lancée par le leader du mouvement « stipulant » qu'en dehors du mouvement l'on n'est plus rien, a été suffisante pour faire estomper toute éventuelle velléité des uns et des autres. Bon à souligner que c'est le 10ème congrès organisé en grande pompe en mai dernier qui a fait ressurgir les différends au sein d'Ennahdha. L'on se rappelle que deux ténors du mouvement Samir Dilou et Ameur Laârayedh ont refusé de suivre les travaux car ils étaient opposés à la démarche qui a présidé à son organisation. En fait, ils n'admettaient plus la mainmise du chef du mouvement sur ses structures. L'objet de leur courroux c'est la manière dont sera choisi le bureau exécutif, l'instance qui dirigera en fait le mouvement islamiste pendant les cinq prochaines années. Rached Ghannouchi tenait à ce que le président du parti, c'est-à-dire lui-même, propose la liste des membres de ce bureau, à charge pour le Conseil de la Choura de l'avaliser. D'autres dirigeants du mouvement réclamaient l'élection pure et simple du bureau exécutif. Ainsi et quelques mois après, les tiraillements ont revu le jour. Pressenti par Ghannouchi pour faire partie du bureau exécutif, Samir Dilou refuse, ce qui donne la mesure de l'ampleur des divergences, sachant que le chef du mouvement a formé un bureau sur mesure où ne figurent pas des dirigeants historiques Au contraire, il a nommé, à la surprise générale, un nouveau secrétaire général en la personne de Zied Laâdhari propulsé au devant de la scène du parti. Le fait saillant à remarquer est que ceux qu'on surnomme les faucons ont été, purement et simplement, exclus de cette instance. Autrement dit, on n'y retrouve pas les Abdelhamid Jelassi, les deux anciens ministres Abdelatif Mekki et Mohamed Ben Salem, ou encore l'ancien chef du bloc d'Ennahdha à la défunte Assemblée nationale constituante, Sahbi Attig. La succession de Rached Ghannouchi est-elle déjà, pour autant, lancée. La question mérite d'être posée même si elle paraît prématurée. Mais dans la course, les réformistes, en fait les gardiens du temple, ne veulent pas être laissés pour compte. C'est dire que les fissures existent bel et bien au sein d'Ennahdha, mais de là à dire que la porte à la succession du Cheikh est ouverte, il n'y a qu'un pas que certains n'ont pas hésité à franchir. Ces « fissures » sont encore apparues de plus belle lors des tractations pour la formation du gouvernement d'union nationale. Et le mutisme observé par les dirigeants du parti islamique, qui semblent avoir un mot d'ordre pour éviter les déclarions et les apparitions médiatiques, serait une preuve de plus, selon les analystes quant à la volonté d'éviter tout risque de dérapage et de préserver le plus longtemps possible cette solidarité et cette discipline chère à Ennahdha, mais que d'aucuns qualifient, désormais, de simple façade. Jusqu'à quand ?!...