La composition des diverses commissions mises en place, il y a une semaine, au sein de l'Assemblée des représentants du peuple (ARP), fait jaser. Plus particulièrement pointée du doigt, celle de la sécurité et de la défense ayant à sa tête, le dirigeant nahdhaoui Abdellatif El Mekki. Cette commission, personne n'en ignore le rôle important dans la mise en place et l'élaboration des projets de loi ainsi que des grandes lignes des programmes annuels des deux appareils clés, sécuritaire et militaire. Lors de sa première réunion, M. Mekki n'a pas manqué de souligner que « toutes les circonstances sont favorables et réunies pour le développement d'un programme annuel bien structuré de l'appareil militaire et sécuritaire, surtout que nos soldats ont gagné la guerre contre le terrorisme ». Et d'ajouter qu'une fois élaboré, « ce programme sera ensuite transféré à la Commission de l'organisation de l'administration et des forces armées qui se chargera de l'élaboration des projets de loi y afférents ».
Or, cette nomination par consensus à la présidence de ladite Commission semble poser un problème au vu du personnage d'Abdellatif Mekki et de son passé controversé voire douteux. En effet, ce dernier garde, de l'avis général, une réputation « d'activiste violent et intransigeant », ce qui lui vaut d'être qualifié, par les Nahdhaouis eux-mêmes, de dur et d'être placé dans le camp des « faucons ». Cette réputation, il la traîne du temps où il était étudiant et dirigeant de l'Union générale tunisienne des étudiants (UGTE islamiste) à la fin des années 80 et au début des années 90. Il était accusé de faire partie de l'aile dure partisane des violences et de la lutte active contre le pouvoir en place à l'époque. On oublie qu'il est considéré comme étant un jusqu'au-boutiste au sein du mouvement d'Ennahdha n'hésitant pas à entreprendre, à deux reprises, une grève de la faim en signe de protestation. Cette réputation, il l'a gardée jusqu'après la Révolution de 2011 et même après la prise du pouvoir par son parti à la fin de l'année 2011 à l'issue de sa victoire majeure aux élections pour l'Assemblée nationale constituante (ANC).
En effet, à chaque occasion et à chaque bras de fer, Abdellatif Mekki a toujours représenté le groupe des faucons. Au premier gouvernement de la Troïka en 2012 sous Hamadi Jebali, Abdellatif El Mekki, alors ministre de la Santé au sein du même cabinet, était l'un des plus fervents opposants à M. Jebali qui montrait « des signes de relâchement » face au tollé provoqué par l'assassinat du martyr Chokri Belaïd. M. Mekki était l'auteur de la célèbre citation fort critique à l'encontre du chef du gouvernement déclarant que Hamadi Jebali, en tant que chef du gouvernement, n'avait pas le droit de parler en son nom personnel. D'ailleurs, il était considéré comme étant l'étoile montante d'Ennahdha à un point tel qu'il était pressenti par son chef et maître Rached Ghannouchi de devenir chef du gouvernement succédant à Hamadi Jebali. Une place qui a finalement été prise par Ali Laârayedh.
M. Mekki a été le personnage le plus en vue lors des tractations dans le cadre du Dialogue national en s'affichant aux côtés de Rached Ghannouchi après l'assassinat de l'autre martyr, Mohamed Brahmi et en plein milieu du célèbre sit-in d'Errahil au Bardo. Abdellatif Mekki a également été sur tous les plateaux, après les confrontations des groupes de personnes identifiées comme appartenant aux « ligues de protection de la révolution », aujourd'hui dissoutes, et les manifestants rassemblés devant le siège de l'UGTT, le 4 décembre 2013, alors que l'Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT) commémorait le 60ème anniversaire de l'assassinat du leader et fondateur du mouvement syndical tunisien, Farhat Hached.
Quelques jours plus tôt, les manifestations qui se sont déroulées à Siliana (120 kms au sud-ouest de Tunis) entre le 27 novembre et le 1er décembre 2012 déclenchées après un appel à la grève générale par le bureau régional de l'UGTT ont été violemment réprimées. Les émeutes de Siliana ont déstabilisé le gouvernement d'Ennahdha. Mekki parlait de tout, sauf des problèmes du secteur de la santé. Et puis, il a su gagner la sympathie de “la branche radicale” du parti, en étant assez incisif, à la limite agressif, dans ses répliques.
M. Mekki voulait revenir au ministère de la Santé au sein du gouvernement d'union nationale et pour ce, il exercé mis une pression énorme sur Rached Ghannouchi à la tête d'un groupe d'ultras, tout en multipliant les déclarations faisant allusion à l'existence de divergences au sein du parti d'Ennahdha, pourtant connu pour sa discipline et sa rigueur. Abdellatif Mekki n'hésitait pas à dire que personne au parti n'est au-dessus des critiques y compris Rached Ghannouchi lui-même. Et il a fallu beaucoup de tact de la part du leader du parti islamiste pour l'amadouer et le neutraliser. Mais il semble que ce n'est que partie remise.
Toujours est-il qu'en dépit de ces critiques, certains se demandent si les craintes après cette nomination de Mekki émanent du fait de sa personne controversée ou bien simplement de son appartennce à Ennahdha ? Certains vont même jusqu'à dire qu'il ne faut pas confier une commission aussi sensible à un islamiste. N'est-il pas temps, font remarquer des observateurs, de se départir de ces préjugés et de donner sa chance à un Nahdhaoui de chapeauter un secteur aussi névralgique que celui de la sécurité et de la défense ? Attendons de voir le comportement et de la gestion par Abdellatif Mekki pour porter un jugement plus nuancé.