Quand le rap et le mezoued investissent triomphalement le théâtre antique de Carthage, pouvons-nous nous en féliciter ou devrions-nous, au contraire, alerter les pouvoirs publics à propos de ce que certains considèrent comme une dérive? D'autre part, est-il logique et acceptable qu'un monument historique puisse être loué comme une simple salle des fêtes? C'est en tout cas, le prestige de Carthage qui en prend un sacré coup... Les festivals d'été ne sont plus ce qu'ils étaient et, désormais, ne versent plus que dans une politique de loisirs qui fleurit sur les décombres fumantes des projets culturels et d'éducation sociale de la république tunisienne d'après l'indépendance. Comment rendre au théâtre antique sa respectabilité? De manière anecdotique, tout de suite après que le festival international ait éteint ses lampions, le théâtre antique de Carthage a été loué - tout simplement loué - à des promoteurs qui s'en sont donnés à coeur joie lundi dernier avec une soirée 100% rap puis ce soir, une soirée 100% mezoued. Nous n'allons pas crier à la profanation d'un espace que nous voudrions voir toutefois garder son prestige mais simplement nous demander comment on peut en arriver à ce point de manque de perspicacité. Comment voulons-nous garder au théâtre de Carthage une once de notoriété et de respectabilité si nous l'ouvrons aveuglément à tous les promoteurs qui cherchent une salle des fêtes? Sans vouloir jeter la pierre à qui que ce soit, il est tout de même surprenant de constater qu'il n'y a pas ne serait-ce qu'un cahier des charges qui puisse faire respecter le prestige des lieux. Oublions-nous à ce point qu'il s'agit d'un monument historique? Plus anecdotiquement encore, cette affaire nous renvoie à la triste mémoire des fêtes de la dictature sous label "Farhat chabab Tounes" qui se tenaient dans la foulée du festival de Carthage et étaient organisées dans une absence totale de transparence qui soulignait des connivences d'un autre temps. Ce sont d'ailleurs ces fêtes dites populaires qui ont accentué la descente aux enfers et du festival international de Carthage et de l'arène qui l'accueille. Bien entendu, relever pareilles anomalies consiste à aboyer dans un désert culturel alors que passent les caravanes de l'incurie. Mais que faire? Vaudrait-il mieux continuer à se taire afin de ne froisser aucune susceptibilité? Ou alors serait-il plus judicieux de jouer à l'autruche qui ne regarde jamais là où le bât blesse? Fourre-tout budgétivores et inculture de masses C'est dommage qu'en matière de culture, nous ne protégions pas la dimension symbolique de nos festivals et de nos monuments. La culture de masses est de plus en plus envahissante et, grâce à des médias complaisants, elle tend à s'immiscer partout au nom d'un populisme de mauvais aloi. Il est plus que temps d'inverser cette déplorable tendance et rendre au culturel ce qui lui appartient en établissant une distinction claire entre variétés et oeuvres artistiques. Si les festivals sont bel et bien devenus des fourre-tout budgétivores, qu'on préserve au moins l'identité culturelle des lieux qui les abritent. A force de bricolages, on en finit par perdre la boussole des arts et se vautrer dans les délices suspects de la promotion de l'inculture de masses sur fond de débandade généralisée.