Ghada Chamma est une jeune plasticienne en fin de résidence au Centre des arts vivants de Radès. Elle se propose aujourd'hui de livrer au public le fruit de ses recherches plastiques de quatre ans lors de cette exposition que Mahmoud Chalbi organise à El Teatro-Aire Libre du 1er au 14 Mars 2016. L'expérience de Ghada Chamma comme future plasticienne est récente, elle est en outre très spécifique. Elle ne se présente pas comme figurative, elle n'est pas non plus symbolique ou uniquement abstraite. Ontologiquement, elle est à l'intersection de plusieurs modes d'expressions. Ces expressions sont centrées sur le graphisme formel et chromatique et sur l'amoncellement organique vertical ou horizontal, en hauteur ou à la surface, droit ou serpentant et se mouvant à l'infini... ou presque. Les ensembles sont constitués de modules, eux-mêmes composés par des éléments segmentaires ou colorés. Les modules sont organisés irrégulièrement. Ils sont épars, variés, paradoxaux, n'obéissant à aucune règle ni intention programmée, sans direction privilégiée ni paradigme. N'est-ce pas là une des caractéristiques de l'art contemporain qui se pratique aussi bien ailleurs que chez nous ? Les surfaces, les supports sont plans, sans profondeur et reçoivent des multitudes d'éléments, de modules sans tête ni queue, sans figures, sans même de préfigures. Ces éléments modulaires, hybrides sont essentiellement instables et parcourus par des mouvements autonomes à chaque fois. Le pullulement grouillant des éléments, des points, des lignes, des formes graphiques ou colorées fondent le mouvement et la dynamique dans les ensembles annihilant ainsi toute velléité de stabilité organisationnelle. Le vide et le plein entre les modules participent à confirmer cette instabilité. Tout bouge et pourtant les structurations sont opérées concrètement. Le maître mot, le concept operateur de tout ce travail est le mouvement ou l'illusion du mouvement. Malgré l'instabilité des structures, le travail plastique de Ghada Chamma est riche. Il s'impose comme étant toujours différent... autre. Il se présente comme aménagement d'un espace trituré inlassablement par des marqueurs, des feutres-acryliques ou aquarelles, outils privilégiés utilisés par l'artiste. La technique est spécifique comme le sont les inspirations esthétiques qui l'ont rendu possible. Sans aller vite en besogne, nous pouvons affirmer que le travail de Ghada Chamma nous rappelle les constatations développées par Gilles Deleuze et Felix Guattari dans « Qu'est-ce que la philosophie ? » (Editions de Minuit, Paris 2003 Pages 190, 191,192) lorsqu'ils ont voulu trouver un lien entre philosophie et art, art et science par rapport au chaos que rencontrent les approches humaines dans le domaine du savoir et de l'art. Deleuze et Guattari disent que « L'artiste rapporte du chaos des variétés qui ne constituent plus une reproduction du sensible dans l'organe, mais dressent un être du sensible, un être de la sensation, sur un plan de composition anorganique capable de redonner l'infini. La lutte avec le chaos que Cézanne et Klee ont montré en acte dans la peinture, au cœur de la peinture, se retrouve d'une autre façon dans la science, dans la philosophie : il s'agit toujours de vaincre le chaos par un plan sécant qui le traverse. Le peintre passe par une catastrophe, ou par un embrasement, et laisse sur la toile la trace de ce passage, comme du saut qui le mène du chaos à la composition. » Ghada Chamma essaye de faire chuter du chaos les éléments de sa propre composition. A-t-elle réussi « à tirer son plan » ? Evoquer le texte de Deleuze pourrait être considéré de l'ordre de la grandiloquence ou de la démesure. Loin de toute arrogance irrespectueuse et avec toute la modestie qui la caractérise, Ghada Chamma essaye aujourd'hui dans cette exposition très spécifique de nous présenter plastiquement sa propre lutte avec le chaos... son chaos.