L'action syndicale constitue-t-elle un contre-pouvoir, ayant une influence sur le fait politique ainsi que sur la fonction normative de l'Etat ? Aussi est-on de plus en plus enclin à penser que le rôle des syndicats ne se limite pas à la défense des droits et des intérêts des travailleurs représentant ce qu'on appelait les prolétaires ? Les syndicats ont désormais une vision globale de la société et exercent une influence sur la politique de l'Etat dans les secteurs économiques. Les tensions qui ont existé par le passé, à cause de la situation inconfortable des travailleurs et du taux effrayant d'inflation amenant à la baisse du pouvoir d'achat et la hausse du taux de pauvreté, méritent qu'on y médite après la Révolution qui a été essentiellement celle des démunis et des économiquement défavorisés. Ce fut autour de ce thème qu'un colloque a été organisé dernièrement par la faculté de droit de Sfax, en collaboration avec l'Union des magistrats administratifs, et le concours de la fondation allemande Hans Siedel et le Bureau International de travail. Dans son allocution d'ouverture, Houcine Abassi a déclaré à propos des rapports du syndicat avec le pouvoir, que « l'UGTT fait de la politique sans pour autant aspirer à un quelconque pouvoir, précisant que c'est le militantisme national qui doit l'emporter sur le militantisme social». Pour preuve, le secrétaire de la centrale syndicale a mis l'accent sur le rôle du Quartet, lequel a parrainé le dialogue national, en vue de la stabilisation sociopolitique du pays. Par ailleurs, Houcine Abassi a déploré «les tentatives de certaines parties à faire tomber l'UGTT, en prétextant qu'elle échappe au contrôle de l'Etat » De son côté Khalil Ghariani, président de la commission sociale au sein de l'UTICA a pour sa part déclaré « qu'il y a une légitimité des deux organisations syndicales et patronales à intervenir dans la mise en place de la politique générale de l'Etat », ajoutant que « ce sont les impôts sur le revenu et les entreprises qui représentent 24,6% et 37% du budget de l'Etat qui donnent cette légitimité aux deux organisations syndicales pour intervenir ». Il a d'ailleurs proposé la création de réflexion mixte UGTT/UTICA sur la politique générale de l'Etat, en vue des résolutions à prendre tant dans le domaine politique que social et économique. Antoine Jeammaud, professeur émérite à la faculté de Lyon dans son intervention sur la liberté syndicale et la démocratie, a évoqué la question de la liberté syndicale qui est une arme à double tranchant. Jadis lorsque les travailleurs ne pouvaient prétendre qu'à des simulacres de droit, notamment durant l'ère coloniale, il n'y avait pas de partenaires sociaux ni de dialogue social. C'était la loi du plus fort. Avec le développement de la législation du travail, due aux multiples interventions des défenseurs des droits de l'Homme, dont notamment les syndicats, les relations du travail, se sont de plus en plus améliorés. Le rôle politique de l'UGTT, a été considérable, que ce soit au cours de la période coloniale que pendant les années difficiles à chaque fois que le pays passait par une crise économique considérable. Les évènements du 26 janvier 1978 sont restés dans la mémoire des travailleurs qui les ont vécus ainsi que dans celle des responsables syndicaux qui avaient œuvré pour les intérêts des travailleurs en vue de l'amélioration de leur pouvoir d'achat. La liberté syndicale a été affectée par l'absence de démocratie laquelle a été la cause d'affrontements entre les travailleurs représentant la majorité parmi le peuple, et le pouvoir. Pourtant, la liberté syndicale était déjà un droit reconnu et le recours aux négociations sociales était de cours entre les partenaires sociaux. Mais cette arme à double tranchant qu'était la liberté syndicale a été utilisée tantôt au profit des travailleurs et tantôt à leur détriment. Car l'UGTT, qui avait joué à un moment donné le rôle de courroie de transmission durant la lutte contre le colonialisme, s'était en quelque sorte libérée du parti au pouvoir afin de devenir une organisation indépendante et autonome. Bien que cette organisation ait osé affronter le pouvoir au paroxysme de la dictature. Le multipartisme était en effet interdit. Khalil Fendri , maître de conférence à la faculté de droit de Sfax a démontré dans son intervention que depuis la Révolution, le rôle des syndicats (des travailleurs et des employeurs) est de plus en plus influent sur la politique de l'Etat, notamment quand il s'agit des fonctions régaliennes de celui-ci. Les exemples de certains syndicats dont celui des magistrats tunisiens, ou des forces de sécurité, sont en l'occurrence édifiants. Ainsi, l'abandon de l'article 103 de la Constitution disposant que les magistrats sont nommés par décret présidentiel, est du à l'action du syndicat des magistrats, contre cet article, car constituant une atteinte à l'indépendance de la magistrature. Le syndicat des forces de sécurités a appelé à l'activation de la loi contre le terrorisme et le blanchiment d'argent. En fait comme l'a déclaré Houcine Abassi, secrétaire général de l'UGTT, le syndicat tend à réformer la politique en vue de son amélioration, sans pour autant faire lui-même de la politique.