La soirée d'ouverture était magistrale en compagnie de la singulière violoniste aux pieds nus Maristella Patuzzi et la fantaisiste harpiste Floraleda Sacchi, (Italie). Ce goût de l'excellence s'est poursuivi lors de la seconde soirée du festival. Invité de l'Acropolium de Carthage, avec le concours de l'Ambassade de la République Argentine, José Luis Juri a habité les lieux le temps d'un concert, le temps d'un ravissement en compagnie du piano. Dans la pénombre de la salle des spectacles, l'artiste a offert un moment de pur délice et sous ses doigts un pan d'une histoire particulière a été déroulé à un public attentif, une histoire de notes et d'émotions sous le signe du romantisme... Trois Nocturnes signéesz Frédéric Chopin ont ouvert le concert. Des airs délicats, chargés d'émotions mouvantes et captivantes. L'époque romantique à laquelle appartiennent ces compositions a été revisité par les mains expertes de José Luis Juri. Au-delà de la maîtrise parfaite de l'instrument et de la technique impeccable, la limpidité du jeu était teintée de cette touche personnelle qui apporte une once d'originalité frêle et subtile à l'interprétation. L'appropriation de la partition a exacerbé toute la singularité du romantisme que recèlent les compositions. Que l'oreille soit bercée par les trois Nocturnes ou le scherzo, la charge romantique a happé le cœur et l'esprit de l'assistance. La puissance implicite du jeu gracieux de José Luis Juri était un moment d'allégresse pour les mélomanes. Ce moment s'est prolongé avec les compositions de Franz Liszt. L'intensité du phrasé caractérisant les œuvres du compositeur austro-hongrois a été réinvestie avec brio et la force émotionnelle était au cœur du jeu véhément du pianiste. Aux célèbres compositeurs du XIXème siècle, se sont joints, dans la programmation, deux compositeurs contemporains, compatriotes de José Luis Juri. En effet, la première comme la deuxième partie du concert ont été un moment privilégié de découverte pour les férus de grande musique ou de redécouverte pour les plus chevronnés du répertoire de Carlos Guastavino et de Alberto Ginastera. Si l'œuvre du premier est fortement inspiré par l'esprit romantique, celle du second s'en détache ostensiblement. Fortement ancrés dans le paysage musical argentin, les mouvements des deux compositions ont été une embarcation vers un ailleurs enchanteur. Avec doigté, José Luis Juri a exploré la musique de ses compatriotes avec sa sensibilité donnant lieu à une lecture originale de partitions riches et denses. La sensationnelle interprétation où la technique sous-jacente mettait en avant l'émotivité de l'exécution des divers mouvements faisait miroiter cette variation du génie créateur. A travers un programme fortement romantique, José Luis Juri a allié deux époques et deux continents. Les limites du temps et de l'espace se sont estompées au profit d'un plaisir voluptueux. Les caresses des doigts sur les touches blanches et noires ont été un voyage au monde de l'esthétique et de la beauté. Cette beauté de l'interprétation a été renouvelée lors des deux rappels offerts par le pianiste en réponse à l'insistance du public par ses applaudissements. Alliant toujours l'Amérique latine et l'Europe, José Luis Juri a choisi des musiques célèbres et intenses. D'abord, ce fut la pureté du Clair de Lune de Claude Debussy qui a bercé les mélomanes ; ensuite ce fut le « bailicito », petite danse en argentin, et son rythme délicatement vif qui a été l'instant ultime d'un dépaysement savamment orchestré par José Luis Juri. Sous le signe du romantisme, cette seconde soirée a été une soirée de l'émotionnel. Et si les plus belles lettres d'amours sont romantiques, les plus belles déclarations le sont également souvent sans mots dire, se faisant par notes et par ce don de soi que l'artiste communique à son public à l'instar de José Luis Juri. Un ravissement pour le mélomane lorsqu'il croise au gré d'une soirée automnale un véritable talent sur la colline de Carthage...