Le programme associe Chopin à Liszt, Guastavino à Ginastera. Départ, forcément romantique, consistant, douloureux, comme le fut le chagrin de Chopin. Humble jusqu'à ses habits, costume, cravate noire et chemise blanche, lunettes sobres, une tête avenante, de ces musiciens à qui on ne donnerait pas d'âge, aucune excentricité, José Luis Juri est pianiste argentin au long cours. Sa biographie est longue comme l'intégrale pour orgue de Bach. Etudes et formation à Sienne (Italie) et en Suisse auprès d'Edith Fischer. Il a donné de nombreux concerts, Italie, France, Espagne, Belgique, Suisse, Uruguay, Chili, Argentine, comme soliste accompagné d'orchestre ou dans des ensembles de musique de chambre. Le voici pour la 1ère fois hôte de l'Acropolium. Lequel a affiché complet en ce 2e jour, public sage, discipliné, concentré. Sur ce chapitre du moins, l'Octobre reste fidèle aux genres (public, cadre, musicien, ambiance) qui ont façonné sa personnalité. Tant mieux Le programme associe Chopin à Liszt, Guastavino à Ginastera. Départ, forcément romantique, consistant, douloureux, comme le fut le chagrin de Chopin. Trois Nocturnes , Op 15, n°2 et 27 n°1 et 2, rappelons que le genre des Nocturnes a été définitivement accolé à Chopin bien que la forme ait été inventée par le compositeur irlandais John Field. Chopin l'a adopté, adapté à l'ambiance du siècle, il évoque des images romantiques de la nuit, la lune et toutes les nuances de l'expression lyrique et dramatique qui leur sont associés. Sa poésie est marquée par une atmosphère d'intimité et de rêverie. Bref, il est question d'amour et de souffrance. Tant d'éléments que Juri exprime parfaitement dans son jeu, il fixe un point, un spot sur une colonne du mur, lève les yeux, retourne ses pupilles à l'intérieur de son corps, de sa mémoire, comme pour puiser une déferlante de phrases graves et nous les transmettre brutes de décoffrage. Le public réagit, ovation. L'amour se décline en pointillé, en aplats, lourd de sens, un poids que Chopin a, durant sa vie, porté. Les Nocturnes ont été fréquemment joués par les prodigieux musiciens, citons, Maurizio Pollini ou Lang Lang, Juri qui met son cœur, mouille sa chemise comme on dit, donne à ces morceaux une teinte sud-américaine : un toucher appuyé, une orgie de « graves », un murmure de vagues qui subjugue. Le public aime et exprime son exaltation et applaudit à tout rompre.. Romantique française Court entretien avec l'hôte pianiste, où l'on apprend qu'il est d'origine sicilienne, beaucoup d'Italiens ont émigré vers l'Argentine, c'est la première fois qu'il se trouve en Tunisie, il aime le pays, adore la salle de l'Acroplium, « un concert réussi est un tout : public charmant, éclairage adéquat, présence quasi religieuse...», il ne tarit pas d'éloges « j'ai un projet de rendre visite à mes parents en Sicile l'année prochaine, j'en profiterai pour visiter en Tunisie». Chopin, Liszt, une prédilection pour la musique romantique française ? J'en suis spécialiste, je mène une intense activité pédagogique. Professeur titulaire des chaires de piano et de musique de chambre au Conservatoire de la ville de Buenos Aires, il est également directeur artistique du Festival de la Semaine Sainte de San Isidiro « El camino del Santo » ... Debussy, Fauré, Ravel parmi d'autres ne font pas partie du programme, il y a une raison ? Franchement, peut-être à tory, je pensais que le public de ce soir serait moins sensible aux compositeurs plus complexes que vous citez, aussi j'ai choisi Chopin, Liszt , Ballade de ce dernier ou le Scherzo de celui-là. Juri subjugue, il joue avec beaucoup de sobriété, on le sent très inspiré par la rhétorique des romantiques, il communique les phrases ni avec pathos ni exagération, la Sonate N°1 de Ginastera (un compositeur argentin) pour terminer. Le public en redemande, un bis. Le plus connu des airs de Debussy Clair de lune. Dehors le ciel est pourtant couvert.