La liberté d'expression est une notion liée à celle de la démocratie, celle-ci consistant essentiellement à exprimer son avis sur les affaires de l'Etat, et dont les précurseurs furent les Grecs qui se réunissaient régulièrement sur la colline du Pnyx. Avec l'évolution de la notion de démocratie et de la pratique du pouvoir, la liberté d'expression a toujours été tributaire des mécanismes mis en place par le pouvoir pour sa consolidation ou son altération. Chez les Arabes, qui étaient de tradition orale, il y a eu que ce soit avant ou durant l'Islam, des poètes qui n'ont pas hésité à critiquer les gouvernants de l'époque, et qui n'ont pas été pour autant tous réprimandés, d'autant plus que certains d'entre eux finissaient par tomber dans les flatteries par intérêt ou par crainte. Il vaut mieux avoir des tranches de feuille d'or que d'avoir la tête tranchée. En France la notion de liberté d'expression a été consacrée, à la révolution par l'article 10 de la Déclaration des Droits de l'Homme et des Citoyens de 1789, où il est stipulé : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions ». D'ailleurs suite à cette déclaration, la presse en France a connu un véritable essor, et une envolée dans le domaine de la liberté d'expression. Ce qui donna même lieu à certains abus constituant une atteinte à l'intégrité d'autrui. Mais au-delà de ce détail, constituant l'exception, cela a permis de dénoncer les abus et les injustices, avec la contribution de plusieurs écrivains appelés les philosophes des lumières, pour avoir contribué à éclairer l'opinion publique sur les vérités cachées ou étouffées. Dans les constitutions françaises, la liberté d'expression a été certes consacrée, mais toujours « dans la limite des lois qui la réglementent ». C'est par le degré de la limite à cette liberté que l'on distingue les pays de démocratie des pays de dictature. Une arme à double tranchant Cette expression a été reprise par notre Constitution de 1959, dans le but de limiter ce droit qui est parmi les droits naturels de l'Homme. Les lois constituent les règles régissant les rapports des citoyens, afin de permettre à tous les membres d'une société de vivre dans la paix, la sérénité et le respect mutuel. Les lois réglementant la liberté d'expression sont contrôlées par le juge. C'est la raison pour laquelle, la liberté d'expression est tributaire de l'indépendance de la Justice. Parler, c'est également dénoncer Le journalisme est le moyen d'expression par excellence permettant d'éclairer l'opinion publique, à condition qu'il n'y ait aucun inconvénient, aucune crainte ou aucune menace pour celui qui agit en vue de dénoncer une injustice ou un abus. Cela ne fait l'ombre d'aucun doute que ses déclarations, écrites ou orales vont déranger quelques uns, surtout ceux qui se sentent directement visés par certaines critiques. Durant l'ancien régime, le journaliste ne pouvait s'exprimer librement, sans encourir des poursuites sur la base du code pénal. Ce qui créa chez les journalistes une certaine phobie, pour procéder à une autocensure. Le code de la presse promulgué par Ben Ali, était comme un simulacre de réforme dans le but de noyer le poisson, et en même temps instituer des sanctions pénales au sein de même code, pour mieux sévir. A la Révolution, le décret-loi 115-2011, sur la liberté de la presse a été promulgué, dans le but de mieux consolider la liberté d'expression. Car dans ce décret, il n'y a pas de sanction à une peine privative de liberté sauf dans les cas constituant une atteinte grave et établie à l'intégrité physique d'autrui. Or il y a comme une certaine réticence à le mettre en application par le parquet, lequel continue à inculper des journalistes sur la base du droit pénal. Ce qui est considéré de la part de la plupart des composantes de la société civile, comme une atteinte grave au principe de la liberté d'expression. Le parquet : Juge et partie En outre dans certaines affaires le parquet qui déclenche l'action publique, est lui-même le plaignant. C'est le cas dans l'affaire Zied El Heni, lequel a déclaré que l'un des inculpés dans l'affaire de jet d'œuf, n'a pas reconnu sa complicité avec l'auteur principal, contrairement à ce qui a été dit par le procureur. Ce dernier a estimé que de telles déclarations étaient attentatoires à sa personne. D'où l'inculpation de Zied El Hedi sur la base de l'article 128, article qui est de surcroît tombé en désuétude. Par ailleurs, les avocats ont demandé à ce que l'affaire soit jugée dans une juridiction autre que celle de Tunis, pour une meilleure neutralité, le procureur de Tunis étant partie au procès. Mais cette demande n'a pas été satisfaite. Ce qui prouve selon la plupart des observateurs un certain acharnement du parquet, lui-même influencé par l'exécutif. Kalthoum Kennou, présidente de l'association des magistrats tunisiens, a pour sa part, dans une déclaration du 13 septembre, jour de l'arrestation de Zied El Heni, déploré de telles pratiques tendant à porter atteinte par tous les moyens à la liberté d'expression, rappelant toutefois que la plupart des magistrats oeuvrent sans cesse, et malgré une conjoncture des plus difficiles, pour la sauvegarde des libertés et des droits humains. D'autre part, elle déplore le fait que le procureur, partie au procès, déclenche lui-même l'action publique, et désigne le juge appelé à instruire l'affaire, ce qui constitue un vice certain de procédure. Le « oui, mais » de la chambre d'accusation Cette instance est chargée de contrôler les décisions du juge d'instruction, pou voir sur le plan juridique leur conformité avec le fond et la forme. En l'occurrence, la libération sous caution de Zied El Heni est une position mitigée, par laquelle ladite chambre a essayé de ménager la chèvre et le chou. Mais quand la chèvre se passera-t-elle définitivement du chou ?