Le 17 octobre, une journée mémorable dans l'Histoire de la presse tunisienne. Une date restera dans les annales pour rappeler à la postérité la lutte que s'est livrée les journalistes tunisiens de la Tunisie postrévolutionnaire pour revendiquer et protéger la liberté des médias. Ces jeunes journalistes et techniciens qui ont déclenché la révolution médiatique, se rebellent contre les tentatives de mainmise sur la presse publique ou privée, contre le spectre d'une nouvelle dictature qui tend à farder la réalité, à maquiller les lacunes et à cadenasser l'information ou la fausser. Sont-ils conscients qu'ils sont les auteurs d'une nouvelle épopée journalistique ou les protagonistes d'une révolution médiatique postrévolutionnaire dont l'étincelle a commencé à la plus ancienne école de presse Dar Assabah ? Sont-ils conscients qu'ils écrivent l'Histoire ?
Cette grève générale à laquelle a appelé le SNJT suite aux négociations stériles avec le gouvernement, est le point culminant d'une lutte qui ne vient qu'écrire son prologue.
La réussite est, jusqu'à l'écriture de ces lignes, est de l'ordre de 95%. Tous les organes de presse étatiques ou privés: radios, presse écrite ou électronique, et télévisions et télévisions électroniques (Arabesque Tv) ont répondu présents.
L'ambiance était effervescente et l'on vivait des moments de grandes émotions. Un premier rassemblement a eu lieu au sein de Dar Assabah, berceau du début de la lutte et de la résistance. Au moment-même où l'on fêtait cette grève générale, une de nos consoeurs du journal arabophone Lamia Chérif, gréviste de la faim a été transporté en urgence par la SAMU suite à la détérioration de son état de santé. Sous les feux de la rampe malgré elle, elle a été escortée par entourée par une présence massive des médias nationaux et internationaux et ses confrères et consoeurs émus jusqu'aux larmes et scandant l'hymne national et criant : «Vivants ou morts, nous ne lâcherons jamais !»
Un second émouvant rassemblement a eu lieu au siège du Syndicat national des journalistes où une foule humaine était concentrée devant le SNJT. Dans les 400 personnes étaient sur place. On se souriait, s'embrassait, se parlait et débattait. Société civile, politiciens, citoyens, journalistes de toutes les organes de presse étaient sur place pour se rassembler autour de cette journée mémorable qu'est le 17 octobre 2012.
Grève générale à la télévision nationale
Mi-figue mi-raisin
L'ambiance était tout à fait particulière au siège de la télévision nationale, cible de tous les regards et de toutes les appréhensions.
Tout le monde était là mais la grève a bien lieu. Une grève assez particulière parce qu'en tant que média public, la télévision nationale se devait et donner l'information au citoyen et respecter la grève générale en tant qu'organe de presse qui a son poids.
La retransmission des émissions étaient de mise. Les journaux télévisés aussi. Sauf qu'en ce 17 octobre, il ne s'agissait que de débattre sur la grève des médias, leurs revendications et l'avenir de la presse tunisienne. Quant aux journaux télévisés, on se limitait à faire passer l'image d'un évènement avec tout juste un titre assez concis sans qu'il y ait d'animateur pour présenter le journal télévisé.
Les journalistes étaient un petit peu perturbés et perdus dans le rôle qu'ils devaient remplir, de la manière avec laquelle ils devaient procéder. On était se consultait, s'entre-aidait quant à la matière à diffuser et au contenu tout en respectant la grève générale. Parce qu'ils étaient convaincus et déterminés pour faire réussir cette journée mémorable.
Ils étaient à l'unanimité persuadés que la grève générale était le meilleur salut pour que les médias arrachent leur indépendance.
Imene Bahroun (Présidente directrice générale de la Watania) «Je n'ai point intervenu dans le travail de la rédaction quant à la grève des journalistes. Ils sont autonomes et c'est leur droit d'appliquer la grève.»
Le Temps : En tant que Présidente directrice générale de la Nationale, avez-vous intervenu dans le travail de rédaction durant la journée du 17 octobre ?
Imene Barhroun : La grève générale du 17 octobre a été respectée au sein de la télévision nationale. A aucun moment, je n'ai intervenu ou essayé de dissuader les journalistes ou la rédaction à ne pas respecter la grève. Ils sont autonomes et indépendants de la direction. Comme vous l'avez constaté vous-même, aucune pression n'est exercée sur eux. Ils sont libres. Tous les journalistes et techniciens de la télévision nationale étaient là et faisaient en sorte de se mettre d'accord entre eux pour le déroulement de leur journée de grève. Notre seul souci était le droit du citoyen à l'information tout en respectant la grève. Aussi concise qu'elle soit, l'information est retransmise aux spectateurs et la totalité des émissions tourne autour de la situation des médias et de la grève générale. Il s'agissait d'animer des plateaux auxquels étaient présents des gens du métier pour débattre sur la question de la presse tunisienne et de son devenir.
Qu'en est-il des pannes successives qui ont eu lieu la soirée du 15 octobre 2012 lors des débats en direct du Palais des Congrès ? Des coupures qui ont, rappelons-le, suscité le doute et l'indignation chez le spectateur et l'internaute.
C'est un grave incident, avouons-le. Un incident qui touche à la qualité du travail de la télévision nationale. Il s'agissait, en réalité d'une panne technique qui a eu lieu sur deux temps. Pour l'instant, on ne connait pas réellement la raison de ces incidents. Une enquête est ouverte pour comprendre ce qui s'est passé et les fauteurs quel qu'ils soient seront sanctionnés. Je tiens à rassurer l'opinion publique que ces coupures n'ont aucune visée de censure.
Effectivement, la question que se posent les Tunisiens, c'est qu'à chaque fois qu'il y a eu une coupure, on change de plateau et d'invités. Chose qui a intrigué les spectateurs. La télévision nationale a été accusée de censurer les propos des politiciens.
En réalité, il ne s'agissait pas de censure. Je vous explique. Comme nous avions un grand nombre d'intervenants et d'invités, nous avions prévu trois plateaux pour la même émission «Politique Show». Or, quand a eu lieu la première coupure, on était presque à la fin de l'intervention des invités du premier plateau. Pour gagner du temps, quand la panne a été réparée, l'animateur est passé directement au second plateau. D'où le changement des invités. De toutes les manières cette émission a été enregistrées et étant donné cette série de coupures ; nous prévoyons sa retransmission ce soir, juste après le journal de 20h, sans qu'il y ait une quelconque retouche ou coupure. Les invités eux-mêmes peuvent la regarder et déclarer publiquement par la suite, si on aurait supprimé ou coupé ne serait-ce qu'un seul mot de leurs propos.
Said Khzaimi (Rédacteur en chef des News à la TV nationale 1) «Nous avions tenté de concilier grève générale et droit du citoyen d'avoir le minimum d'information.»
«Nous avons conscience que la grève générale des journalistes est d'une grande importance, de par le cumul d'agressions physiques et morales dont étaient victimes plusieurs journalistes, la pression sur la télévision nationale spécifiquement. Il était tout à fait normal que l'on applique comme nos consoeurs et confrères la grève générale afin que tout le secteur soit indépendant et travaille dans la sérénité et la transparence totale. Quant à la forme qu'a pris la grève dans la section des News, nous nous sommes arrêtés à présenter durant les cinq émissions des informations à donner juste les titres sans entrer les détails et sans qu'il y ait un commentaire ou un reportage de la part des journalistes. Nous avions tenté de concilier grève générale et le droit du citoyen d'avoir le minimum d'information. Nous ne désirions pas priver le spectateur des nouvelles ou des informations. Il n'y a pas eu non plus d'émissions de débats outre celles qui portent sur les médias, la grève et l'avenir de la presse tunisienne. Notre désir est que la presse de demain soit indépendante, neutre et qu'elle puisse accéder facilement à l'information pour pouvoir la donner telle qu'elle est au citoyen sans fard ni leurre. Le journal de 20h a été, pour la première fois en Tunisie, présenté sans animateur. Nous manquons d'expérience sur ce plan-là v que c'est une première. Il s'agit de transmettre l'image et les informations très brièvement écrites. Au résultat des courses, l'image est là, l'information aussi. Donc, nul besoin de la voix de l'animateur. D'ailleurs, nous n'avons reçu aucune pression de la part de qui que ce soit pour ne pas appliquer la grève et même si c'était le cas, nous ne l'aurions pas accepté.»