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« En Tunisie, les capitaux existent, mais il n'y a pas de bonnes structures » Energie d'entreprendre - Service Bancaire et Système financier vétustes - Hédi Ben M'louka, D.G de MCP
MCP (Mena Capital Partners), est un nouvel acteur sur la place financière de Tunis. Il s'agit d'une société du Groupe Duet dont le siège social se trouve à Londres et les filiales implantées à New York, Dubaï, Singapour, Tokyo et New Delhi. Le groupe emploie 70 personnes et gère plus de 3.2 milliards de dollars, avec comme principale cible les marchés émergents. Installé depuis septembre dernier à Tunis, MCP est soutenu par un actionnariat composé de 49% par Duet Groupe, le reste de l'actionnariat revient à Hédi Ben Mlouka, principal actionnaire en qualité de personne physique. Titulaire d'un diplôme de la London School of Economics, Hédi Ben Mlouka a particulièrement travaillé en Europe et au Moyen Orient avant de mettre le cap sur Tunis. Nous l'avons rencontré pour situer l'apport qu'il compte apporter au marché financier tunisien. Interview ; Le Temps : En décidant de venir vous installer en Tunisie, vous êtes certainement conscient de l'existence de pas mal d'autres acteurs et opérateurs concurrentiels dans votre domaine. Qu'est-ce que vous proposez alors de particulier et de nouveau par rapport à ces acteurs là ? Hédi Ben M'louka : En effet, je connais bien le paysage financier tunisien, avec tout ce qu'il comporte comme banques d'investissement et comme intermédiaires en bourse. Il est clair qu'il existe déjà une similitude des offres et des produits de la part de cet ensemble d'acteurs. Ce qu'il faut savoir, c'est que la Tunisie a accusé beaucoup de retard dans le secteur financier par rapport à d'autres pays qui ont plus ou moins le même niveau de développement. On ne se compare pas aux grandes places financières mondiales, mais même si on tient la comparaison avec le Maroc, le produit et le service financiers tunisiens accusent du retard. Le service bancaire tunisien est très limité, il demeure toujours le même depuis 20 ans. Alors que dans les autres pays, et c'est le Maroc qui est encore une fois notre point de repère, ils sont très en avance par rapport à nous, en disposant de vraies banques d'investissement qui émettent des produits assez sophistiqués, aidant les entreprises à croître. Et je parle là de tous les services de conseil (advisory), de levée de capitaux, de levée de dettes, de l'equity, du conseil pour générer de la croissance en dehors du pays, ce qui est d'ailleurs un marché très intéressant, mais qui reste encore petit, alors que dans certaines industries on a besoin d'un effet de taille pour pouvoir accompagner ces sociétés là hors la Tunisie. Pour répondre à votre question, il y a beaucoup à faire en Tunisie, malgré l'existence de plusieurs acteurs mais qui offrent tous la même chose. Et avec tout le respect que j'ai pour certains d'entre eux qui sont bons, je dois dire que l'innovation est restée limitée et que les services restent encore étroits. Nous sommes un acteur de plus, certes, mais nous comptons apporter une vision et un service très différents. Nous allons apporter trois choses ; la première c'est par exemple dans le Corporate, je parle de la partie conseil entreprise. Car aujourd'hui, l'essentiel de la levée de capitaux se fait à travers le système bancaire, alors que le marché obligataire est quasi inexistant. Nous comptons apporter beaucoup à ce niveau là, à savoir au niveau de la finance d'entreprise, en accompagnant les business tunisiens dans leurs besoins de financement que ce soit en capitaux propres, ou en dettes ou alors en instruments hybrides, tels que les obligations convertibles qui n'existent pas encore en Tunisie. On trouve certaines structures innovantes et qui répondent à des besoins spécifiques, pour des entreprises dans des situations précises et qui sont adaptées, ce qui n'existe pas en Tunisie. Aucun des opérateurs sur le terrain n'est en mesure de proposer des solutions clé en main, les entreprises sont ainsi obligées d'opter pour deux choix, soit de chercher un crédit auprès d'une banque, soit d'avoir un partenaire. Alors que dans la plupart des situations, ce n'est ni l'un ni l'autre ce que le promoteur cherche parfois. En Tunisie, les capitaux existent, mais il n'y a pas de bonne structure. Vous avez été sur certaines opérations sur la place de Tunis, vous vous installez actuellement en Tunisie. Quelles sont les significations de cette localisation et dans quels objectifs ? L'investisseur étranger que je représente est présent dans la région Moyen Orient et Afrique du Nord, dans le cadre d'une présence internationale à Londres, à Singapour et Dubaï. A partir de Dubaï nous investissons dans toute la région MENA. Nous avons fait plein d'investissements et la raison pour laquelle nous nous installons ici, outre le fait que je suis Tunisien, c'est de faire de la Tunisie une plate-forme pour l'Afrique du Nord et même pour l'Afrique Subsaharienne, et plus précisément apporter de nouveaux services au niveau de la finance d'entreprises ainsi que dans le domaine de la gestion d'actifs. Actuellement on commence avec la private equity, ce qui est encourageant. Vous avez certainement entendu parler du Plan du Jasmin proposé par Jalloul Ayyed ministre des Finances. Comment jugez-vous ce plan ? Et est-ce-que vos projets en Tunisie pourraient s'aligner sur les grands axes de ce plan ? Nous gérons notre business plan indépendamment de n'importe quels autres plans qui peuvent se faire ou ne pas se faire. On a entendu parler de beaucoup de projets dans le passé, mais très peu se sont concrétisés étant donné que la pratique et l'exécution sont beaucoup plus compliqués que les présentations PowerPoint. Par rapport à ce qu'a annoncé le ministre des finances, que ce soit ce plan indiqué ou le Fonds Générationel (Agiel Fund), je dirais qu'il s'agit de choses positives et avec lesquelles nous comptons avoir beaucoup d'interaction puisque ces fonds comptent investir avec des sociétés comme la nôtre. Ce sera un acteur majeur si jamais il se concrétise comme ils le disent. Mais il faut dire que ces plans sont difficiles à réaliser. D'abord, parce qu'il s'agit de quelque chose que nous n'avions encore jamais fait par le passé, et là nous avons besoin d'une culture qui n'existe pas dans le secteur public en Tunisie. A moins d'isoler cette structure et la doter de prorogatives différentes du reste du secteur public. Je vous donne un simple exemple, le Fonds Générationnel devra gérer une somme de 2 milliards de dollars, il sera divisé en sous portefeuilles. Celui qui va gérer ce sous portefeuille disons de 200 millions de dinars, combien va-t-on le payer ? 1300 dinars ? Et là on revient au risque de la corruption. Mais on est dans la fonction publique, on ne peut pas alors payer plus. Comment va-t-on alors composer ? Le payer à raison de 8000 dinars et risquer une nouvelle révolution ? Il existe aussi d'autres qui ne sont pas d'accord sur ces programmes, car historiquement l'Etat est jugé comme un très mauvais gérant. Le pire investisseur dans l'économie est très souvent l'Etat, en Tunisie ou ailleurs. Il faut laisser le privé investir. Le rôle de l'Etat est plutôt celui d'instaurer les règles du jeu. Des règles qui doivent être équitables et qui peuvent fonctionner, ainsi qu'une bonne justice économique. J'imagine mal qu'un fonctionnaire de l'Etat puisse rester au bureau jusqu'à 4 heures du matin pour parachever un dossier, ce qui est le cas dans le secteur privé. Il nous faut un code d'investissement très clair, c'est en instaurant les bonnes règles du jeu, que les investisseurs se bousculeront devant nos portes. Les capitaux ne sont pas le problème, je le répète. Je connais parmi mes amis et collègues ceux qui gèrent des fonds de plusieurs millions de dollars alloués à la Tunisie, mais ils n'ont pas mis un sou, parce qu'ils n'y arrivent pas, à chaque fois il y a un problème. Pourquoi Londres est devenue une place financière des plus respectées ? Parce que tout simplement le système judiciaire est intact avec un texte de lois qui touche à tous les détails et qui est surtout exécutable. Il nous faut vivement un code d'incitation à l'investissement ainsi qu'un code commercial qui fonctionnent et qui ne changent pas, car les investisseurs préfèrent la stabilité des lois qui leur offre la visibilité. Est-ce que vous proposez dans votre offre certains produits de la finance islamique ? Non. J'ai pratiqué la Finance Islamique étrangement lorsque je servais au sein de la banque américaine Meryl Lynch. On couvrait la région du Moyen Orient et on offrait des produits de la finance islamique aux banques régionales, notamment en Arabie Saoudite. J'en ai établi deux constats : le premier c'est la demande pour ces produits. Une demande qui parvient de l'ignorance. J'ai le choix entre deux produits, l'un est compatible avec la Chariâa et l'autre est « Chariâa Compliant ». C'est donc logique pour un musulman d'opter pour les produits compatibles avec la Chariâa. D'un point de vue commercial et économique, s'il y a demande, on doit proposer des offres. Il se peut qu'on le fasse dans l'avenir, mais actuellement, est-ce- qu'il y a une réelle valeur ajoutée ? En Tunisie, aucune valeur ajoutée n'est espérée en proposant la finance islamique, parce qu'il s'agit exactement des mêmes transactions de la finance conventionnelle, c'est seulement écrit d'une façon différente. Qu'est ce que la Mourabaha par exemple : c'est un crédit, mais puisque l'intérêt est prohibé par la religion musulmane, on achète un bien et on le vend au client, mais on se met d'accord qu'en remboursant, une valeur extra devra être payée par la suite. N'est-ce pas de l'intérêt ? Ce qu'il faut savoir, c'est qu'en termes de dépôts il existe de la demande, mais dès que ça devient un peu plus sophistiqué, il n'y a plus rien. Je connais très bien ce marché et je l'ai couvert pendant de longues années, il n'y a aucune demande pour les produits sophistiqués. On prend aussi l'exemple des Sukuks, qui sont de simples obligations, et c'est exactement la même chose que Mourabaha sauf que c'est sous forme de titres. C'est un business très lucratif pour les banques, puisque le client ne reçoit aucun intérêt et la banque utilise ces fonds sur les marchés financiers internationaux là où il reçoit des intérêts de l'ordre de 5%. De plus, beaucoup de transactions peuvent se faire par la finance classique avec beaucoup moins de complications, ainsi que les frais de restructuration. Votre portefeuille va-t-il être étoffé par de nouvelles opérations dans les périodes à venir ? Oui, nous avons un pipeline assez important. Nous ne pouvons pas encore divulguer les noms, s'agissant d'opérations très confidentielles. Mais nous avons 4 à 5 opérations significatives qui seront exécutées dans les mois à venir. Et qui auront le même esprit que l'opération de la Sopat et de Hexabyte. Nous avons une culture de partenariat qui est assez différente de celle qui existe en Tunisie. On ne veut pas être de simples opérateurs sur de simples transactions, mais nous sommes plutôt en position d'apporter beaucoup plus en matière d'accompagnement, du début jusqu'à la fin ; le conseil, c'est-à-dire comment gérer et optimiser le bilan, ainsi que l'accompagnement en dehors des frontières. Nous nous impliquons de façon complète avec le client dans un esprit de partenariat à long terme. Dans les deux opérations que nous avons chapeautées, nous avons réussi à créer de la vraie valeur pour l'entreprise elle-même et ses salariés et pour l'économie tunisienne de façon très substantielle. Propos recueillis par Haykel Tlili