L'article 1 de la Constitution trace une stratégique ligne de démarcation : l'Etat sociologique contre l'Etat islamique Lors du colloque international sur « les religions dans les démocraties » (Voir « Le Temps » du 29-6-11) des débats chauds mais pondérés ont traité cette question ardue et très controversée ces temps-ci à cause des airs d'émancipation qui soufflent sur le monde arabe. Cette brise de liberté a donné l'opportunité à toutes les forces de la société d'émerger et de s'exprimer. C'est dans ce contexte d'apaisement que les extrémistes religieux ont fait leur apparition et qu'ils ne cessent d'exhiber leur force physique pour intimider les gens et les « persuader » du bien-fondé de leurs thèses. Ils brandissent l'étendard de l'Islam et veulent imposer la « chariâ » (loi islamique) à la société. La Révolution et la reconnaissance des partis religieux est thème central de la tenue de cette conférence comme l'a démontré Taïeb Baccouche, le Ministre de l'Education, dans son discours inaugural. « Le thème est général et précis », a-t-il commenté. Il s'est également interrogé sur le rapport entre l'Islam et la démocratie et la politique et la religion, sur la manière de traduire dans la réalité cette association. La caducité des principes Dans cette arène intellectuelle, l'Etat civil était confronté à l'Etat théocratique. Ses défenseurs étaient nombreux. Parmi eux, il y avait le docteur Habib Janhani qui s'est interrogé sur l'utilité de la « choura » (concertation) en cette époque moderne. Pour lui, la période est pour les compromis et les concessions, ce qui est l'essence même de la démocratie suivant les conceptions internationales contemporaines. « Les partis et les mouvements ignorent l'expérience historique de la pensée islamique, a-t-il ajouté. Les aïeux ont toujours résolu leurs problèmes en fonction de la conjoncture que leur offrait l'histoire, ils ne peuvent donc aucunement nous servir de modèles, a-t-il conclu ». Et il n'a pas manqué d'emprunter un exemple à l'histoire musulmane pour persuader l'assistance du bien-fondé de ce qu'il alléguait : le partage du butin entre les vainqueurs lors d'une campagne (Kaybar) a été interdit dans celle qui l'a suivi (Saoued) pour des considérations sociales évidentes, la manière de traiter un même fait change avec le changement des circonstances. C'était le cas pour des événements qui n'étaient pas très éloignés chronologiquement, que dire alors quand ils le sont et d'une manière très sensible ? Les références islamiques Le docteur Torkmani a parlé de l'islamisation et sa relation avec la mondialisation. « Les références islamiques, sont-elles la « chariâ » ? L'autorité divine ? L'autorité populaire ? La pensée islamique n'a-t-elle pas vieilli? » C'était le questionnement formulé par le docteur qui n'a cessé d'expliquer que la laïcité n'est pas l'antonyme de la religion comme certains illettrés ont tendance à penser et d'autres malintentionnés tentent d'interpréter. Le docteur Allani, lui, était plus explicite dans ses critiques quand il a demandé à « Ennahdha » si elle avait une référence religieuse pour nous fournir un système démocratique. « Ghannouchi prétend établir des projets économique et politique à partir de la religion, ce qui est une absurdité, a-t-il noté ». A ses yeux, « Ennahdha » n'a pas évolué depuis des décennies. Tout en soulignant le danger que représente l'amalgame entre la politique et la religion, il a souligné que cette dernière, qu'elle veut exploiter, est un élément commun que personne n'a le droit de s'approprier. La liberté de pensée, une ligne de démarcation Le juriste allemand Klaus Reinhold a défendu l'Etat sociologique contre l'Etat islamique qu'instaure, selon lui, l'article 1 de notre constitution qui stipule que l'Islam est la religion de l'Etat. Il a soutenu que l'Islam ne doit en aucune manière être la seule source d'inspiration pour légiférer des lois mais une parmi d'autres. Pour appuyer ses allégations, il a cité l'exemple de son pays où la constitution est inspirée du Christianisme sans être pour autant chrétienne. Un autre exemple occidental illustrant la tolérance religieuse, celui de la Belgique a été cité par Bernard Feltz, professeur à l'université catholique de Louvain. « En 1830, notre société était composée de 80/00 de religieux et 20/00 d'anticléricaux, mais cette majorité n'a pas imposé sa loi à la minorité, puisque l'article premier de la constitution garantissant la liberté de pensée et de culte en est suivi d'un autre assurant celle de ne pas suivre un culte. Depuis cette date lointaine, la religion chez nous a toujours respecté les règles du jeu démocratique. L'Etat moderne qui est un Etat de droit n'exclut pas, c'est un rassembleur, a-t-il précisé. » Comme on le voit, la constitution s'intéresse en premier lieu aux libertés des citoyens et non pas à l'identité de l'Etat. D'autre part, la caution de toute liberté c'est, d'après lui, le modernisme qui est une rupture avec le Moyen Age, l'homme moderne est capable d'arriver à la vérité par la raison. Cependant, « la modernité n'exclut pas la religion, elle est la reconnaissance du pluralisme, c'est bien elle qui nous procure la liberté de pensée et non pas la laïcité qui est un terme polyvalent, a-t-il ajouté ». A notre question relative à l'enseignement théologique à l'école qui favorise une catégorie sociale aux dépens d'une autre, le professeur a avancé une réponse claire et nette : « il est impératif qu'il y ait un cours de morale athée à côté de celui de la morale religieuse, ainsi les parents laïcs auraient la possibilité d'y inscrire leurs enfants, c'est ce qu'on appelle une société juste et c'est ce qu'on vit en Belgique. Pour vivre ensemble, on a besoin d'un consensus social, de valeurs communes, il faut que chaque citoyen soit respecté dans ses opinions, la liberté de pensée doit être une ligne de démarcation, c'est seulement à ces conditions-là que des citoyens venant de tout bord, ayant des horizons différents et vivant sous le même ciel pourraient cohabiter, a souligné Monsieur Feltz. » Le double langage Chérif Ferjani nous a dessillé les yeux et permis de réaliser la gravité de notre situation et de saisir son ampleur. Il a tiré la sirène d'alarme lorsqu'il a avancé un exemple démocratique emprunté non pas aux Européens mais aux Asiatiques: il s'agit du parti islamique indonésien « Ettahrir ». « C'est un vrai modèle de démocratie, il n'a vraiment rien à voir avec nos extrémistes, manifestement, on est encore loin de cette grande valeur moderne, nous devons parcourir de grandes distances pour pouvoir l'atteindre, a-t-il affirmé. » Parlant de démocratie, Ajmi Lourimi, le représentant de « Ennahdha » a déclaré que son parti a tranché sur la question : il est pour. Cette affirmation est intervenue après l'insistance de sa part sur l'utilité de la « choura ». « La démocratie est le chemin le plus court vers le modernisme politique, a-t-il prétendu. » Et comme il s'agissait d'un parti politique qui a la réputation de partir dans tous les sens en matière de déclarations politiques, l'assistance a crié d'une seule voix : « non au double langage ! ». Le porte-parole de ces indignés c'était le professeur Mohammed Haddad, chaire UNESCO des études comparatives de religions, président du colloque. Par la même occasion, il a sollicité « Ennahdha » de se départir définitivement du langage religieux et d'emprunter l'exemple turc qui, à ses yeux, a offert à l'Islam ce que l'Islam politique n'a pu faire jusqu'à aujourd'hui. Les conseils à l'adresse de « Ennahdha » revenaient comme un leitmotiv tout au long des débats. Il reste à savoir si ces conseils étaient prodigués dans l'intention d'assainir le climat politique en en excluant les partis religieux ou bien par pure sympathie pour ces derniers. En évoquant le modernisme, Lourimi a affirmé qu'il ne leur était pas étranger, étant donné qu'il a transité à travers l'un des leurs, Ibnou Rochd (Averroès). Il a toutefois oublié de rappeler le sort qu'a connu ce grand moderniste, le traitement que lui ont réservé les intégristes. Faouzi KSIBI TOUNSSIWABESS [email protected] TOUNSSIWABESS [email protected]