Les frères Dardenne, Jean-Pierre et Luc, du plat pays : la Belgique, sont des habitués de Cannes. Leur participation réjouit les uns et inquiètent les autres. Les uns, les fans ; les autres, sont les cinéastes dont les films concourent pour la Palme d'or. Ils savent que la présence de leur film dans la compétition est redoutable, car ils raflent les prix à chaque fois à tour de bras. Leur style cinématographique se caractérise par la simplicité tant au niveau thématique qu'esthétique. Et cette simplicité leur vaut l'admiration aussi bien des jurys, de la critique que du public. Leur nouvel opus, « Le gamin au vélo » est dans la même veine. Le film est d'une simplicité déroutante et d'un réalisme désarmant. C'est l'histoire des malheurs d'un gosse de 12 ans abandonné par son père qui refuse tout contact avec lui. Une jeune coiffeuse célibataire le prend sous son aile. Mais, lui s'obstine à voir son père, cuisinier dans un restaurant. La caméra ne quitte pas d'une semelle le petit blondinet sauvage, qui à l'aide de son vélo, parcourt la ville pour rencontrer ce père irresponsable. Le récit est truffé de fugue, cambriolage et révolte. Enfin toute la panoplie de faits par laquelle passe généralement un adolescent rejeté par ses parents incarnant ainsi le refus et la rébellion. Le manque de père et donc de repères lui fait croiser sur son chemin, un plus âgé que lui qui le prend sous sa coupe et lui montre le chemin de la délinquance. L'enfant saisit l'hameçon qui est tendu et commet vol et violence. Il abandonnera vite ce chemin grâce à la vigilance et au courage de la coiffeuse, mère improvisée qui lui voue affection et tendresse. Cette fiction oscillant vers le documentaire est enlevée, sans temps morts, sans psychologie, sans pathos, loin de tout manichéisme ne laisse pas indifférent. Elle provoque une émotion pure dénuée de tout discours paternisant. C'est ça la force des Dardenne et la magie de leur cinéma qui privilégie par dessus-tout l'ellipse. L'ellipse participe à l'économie des mots, des images, de la mise en scène, du scénario. Par exemple, on n'aura aucune explication du refus du père d'abandonner brutalement son fils, ni de l'affection de la coiffeuse pour le gamin qui pourtant la maltraite et qu'elle considère comme son fils. Mais les Dardenne comptent beaucoup sur l'imagination du spectateur pour déduire le sens suggéré par un lieu : un appartement vide, des objets fortement symboliques : le vélo, un téléphone portable qui sonne sans cesse, une porte fermée, un robinet qui coule abondamment. Ces par ces images métaphoriques que sont sondées la profonde douleur des personnages et leur solitude dans une société de consommation qui prend compte les apparences, l'esprit de compétition et de compétitivité et reste indifférente aux sentiments et aux états psychologiques des êtres. Qu'on fasse référence aux « Voleurs de bicyclette » est tout à fait concevable, mais « Le gamin au vélo » dépasse l'aspect social pour explorer l'âme des personnages et créer une tension dramatique en utilisant le thriller sentimental qui donne plus que des frissons à la Hitchcock, une matière à réflexion sur la condition de l'homme moderne. Les Dardenne ont donc réussi à accélérer le cinéma en donnant un bon coup de pédale qui leur a valu le grand prix du jury de Cannes 2011.