• A qui profite-t-il ? - Le spectre de la discorde et du régionalisme rôde encore dans nos parages, maintenant vive la menace de la dérive et du chaos. Des incidents survenus dans quelques régions de la République et rapportés par les médias n'ont fait que susciter l'indignation de tous les Tunisiens, qui sont loin d'imaginer que de tels dérapages comportementaux puissent se produire en ce moment où notre pays est à un tournant crucial de son histoire contemporaine. Les derniers en date sont survenus à Djerba au courant de la semaine dernière : trois simples faits divers d'extrême banalité, de consommation non payée, d'abord dans un restaurant, puis dans un café, comme il s'en produit tous les jours, ont généré des mouvements de masses, constituées pour la circonstance en soutien apporté respectivement aux deux parties en conflit, et des troubles généralisés qui ont atteint leur paroxysme dimanche soir, touchant plusieurs secteurs de la ville de Houmt-Souk et provoquant quelques dégâts matériels, ce qui a nécessité l'intervention de l'armée et le renforcement le lendemain des forces de l'ordre, malheureusement encore en manque d'effectif à Djerba. Slogans humiliants Des slogans humiliants et blessants scandés en chœur et de vive voix par certains à l'encontre de la population locale ont vite fait de susciter l'indignation et la colère des autochtones qui, par amour propre fort malheureusement, se sont lancés dans une chasse vengeresse à l'homme. Lundi matin, la rue à Houmt-Souk et dans toute l'île ne discourait que des incidents de la veille. Le marché hebdomadaire, dit aussi « souk libyen » n'a pas tenu lieu ce jour-là car, tôt le matin, les vendeurs ont vite fait de démanteler leurs étals par crainte de la poursuite des troubles ou d'éventuelles représailles. Le calme est pour l'heure rétabli, mais l'ambiance est encore à la crispation ; pendant les deux premiers jours qui ont suivi les incidents, des comités de quartiers se sont constitués, comme aux premiers jours de la révolution, et les commerçants se sont organisés le soir venu, par précaution, pour garder leurs biens. Des rondes combinées militaires et policières de contrôle sont effectuées depuis dans plusieurs zones de l'île pour calmer les esprits et rétablir l'ordre. Voilà, en somme, ce que trois simples faits divers anodins, ont fait d'une île et de ses habitants réputés par leur ouverture sur l'autre, compromettant sa cohésion sociale et la concorde entre toutes les composantes de la société djerbienne cosmopolite. C'est parce que les protagonistes dans toutes ces affaires étaient originaires de régions de l'intérieur du pays qu'on s'est adonné aux commentaires les plus fantaisistes, en puisant dans des interprétations malsaines et des généralisations hâtives connotant un régionalisme exacerbant qui n'était nullement justifié, détournant gravement les faits de leur contexte. A qui profitent donc ces débordements incessants survenant dans plusieurs régions, selon le même scénario, à un moment où notre pays est sur le point de recouvrer sa stabilité politique et sécuritaire ? Lorsque des comportements individuels irresponsables, unanimement condamnables, contraires à la morale et à la loi, et qui ne devaient engager que leurs auteurs, dégénèrent pour enfanter des foyers de tension et donner lieu à des préjugés à connotation régionaliste, il paraît logique et légitime de pointer du doigt des forces réactionnaires démoniaques occultes, adeptes de la devise « après moi le déluge », et agissant toujours dans l'ombre pour semer la division, la discorde et la haine dans les cœurs des concitoyens, et compromettre à jamais la paix et la cohésion sociales?